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Le prince de Hong Kong

October 2012


Pour réussir dans la vente horlogère à Hong Kong, où la compétition fait rage comme nulle part ailleurs, il faut davantage que représenter de célèbres marques, il faut devenir une marque! C’est le cas de Prince Jewellery & Watch, l’une des grandes enseignes de la ville, et Joseph Chu, son directeur général, nous confie ses secrets.

Rappelons qu’à elle seule, la «petite» Hong Kong vend bien plus de montres que les 50 Etats des Etats-Unis! Mais comble de l’horlogerie, il n’y a aucun endroit au monde où porter une montre est si superflu, il suffit de tourner la tête à droite pour lire l’heure sur des dizaines de cadrans étincelants exposés dans les vitrines. Il faut le voir pour le croire, les boutiques de montres mono ou multimarque sont omniprésentes dans tous les quartiers touristiques de l’ex-colonie britannique. Alors comment une chaîne telle que Prince Jewellery & Watch fait-elle pour tirer son épingle du jeu? Joseph Chu, son directeur général et accessoirement conseiller honorifique de la «Federation of Hong Kong Watch Trade & Industries Ltd», nous explique les raisons du succès de «Prince», mais aussi les difficultés qui se profilent et les nouveaux challenges à relever.

Le prince de Hong Kong
Joseph Chu

Europa Star: Prince, c’est combien de boutiques?

Joseph Chu: Trente à Hong Kong, deux en Chine continentale – l’une à Canton et l’autre à Shanghai – ainsi que deux à Macao. Et encore six boutiques Omega. Au total, Prince possède 40 points de vente.

ES: Comment se portent les affaires?

JC: Pas mal du tout car nous pouvons compter sur nos 28 ans d’expérience et depuis que Hong Kong est devenue une Région administrative spéciale (SAR) ouverte à la clientèle chinoise, nous avons multiplié nos points de ventes.

ES: Mais le vent tourne, Pékin a récemment augmenté la taxe sur les produits de luxe importés de Hong Kong, incitant les Chinois à acheter en Chine…

JC: 90% de notre clientèle vient de Chine continentale! Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par le prix. En Chine, il faut ajouter la taxe d’importation plus cette taxe «de luxe», ce qui rend nos montres 20 à 30% plus avantageuses. Mais certaines marques tentent de réduire l’écart ce qui explique que, sur certains modèles, le prix affiché en Chine et à Hong Kong est le même, sauf que l’un est libellé en yuan chinois et l’autre en dollar de Hong Kong, ce qui signifie un avantage de change en notre faveur de 18%... Mais acheter à Hong Kong est aussi une question de confiance car c’est la certitude de ne pas acheter une montre de contrefaçon ou de seconde main. Enfin, le conseil à la clientèle est plus professionnel.

ES: Mais les citoyens chinois ont l’obligation payer les taxes à la frontière…

JC: Officiellement oui! Mais s’ils ne déclarent rien aux douanes et qu’ils portent la montre au poignet, c’est OK. C’est pourquoi la montre est achetée sans sa boîte.

ES: Un acheteur qui débarque à Hong Kong pour la première fois est littéralement assiégé de boutiques. Comment faites-vous pour qu’il préfère votre enseigne à celle des autres?

JC: Autrefois, le client allait d’une boutique à l’autre pour négocier les prix dans le but de décrocher le plus gros rabais. Mais depuis quelques temps déjà, les marques ont un «discount control» et surveillent de près les prix de vente effectifs. Nous pouvons librement offrir jusqu’à 10% de remise, mais au-delà, le revendeur s’expose à une sanction. Et s’il se fait prendre à plusieurs reprises, la marque peut dénoncer le contrat et le vendeur, perdre sa distribution.

Le prince de Hong Kong

ES: Comment les marques font-elles pour vérifier?

JC: Elles envoient des acheteurs secrets, le fameux «client mystère», parfois des Européens voire même (rires) des Japonais… On ne peut vraiment pas les repérer. Aujourd’hui, croyez-moi, tous les revendeurs vendent au même prix.

ES: Avec un contrôle des prix, n’est-ce pas encore plus difficile de se démarquer?

JC: Cela se joue désormais sur le professionnalisme, en particulier dans le haut et très haut de gamme avec des montres chères équipées de grandes complications. Ici, notre expérience creuse la différence car il faut savoir expliquer et parler le même langage que le client. Notre force, c’est donc un personnel passionné sur qui repose la responsabilité de la vente. Il subit aussi un entraînement intensif, notamment en termes de politesse. Notre décoration est également très soignée et nous sommes créatifs dans nos concepts de ventes. Par exemple, cela fait sept ans que nous apparaissons sur TVB, une célèbre chaîne de télévision de Hong Kong, visible un peu partout sur le câble.

ES: Si les choses sont si positives, pourquoi s’implanter en Chine continentale?

JC: Nous nous préparons! Je vous ai dit que 90% de notre clientèle était chinoise alors imaginez si un jour Pékin décide d’abolir les taxes! Pourquoi l’acheteur viendrait-il ici à Hong Kong s’il peut acheter la même montre au même prix dans sa propre ville?

ES: N’est-ce pas déjà ce qui se produit avec ces zones «hors taxes» chinoises, telles que l’île de Hainan?

JC: Oui, mais pour des objets d’une valeur maximale de 5000 yuans (750 francs), soit le prix d’une Tissot. Cela ne nous affecte pas.

Le prince de Hong Kong

ES: Et entre les différents distributeurs de Hong Kong, les relations sont-elles amicales ou plutôt hostiles?

JC: Les deux dernières années, j’étais président de la «Federation of Hong Kong Watches Trade & Industries» dont sont membres les plus gros distributeurs de la ville. Tous sont en compétition, certes, mais tous se connaissent bien et sont amis. Chacun aborde le commerce à sa manière, seuls les rabais prohibitifs sont interdits.

ES: Et qu’en est-il de la flambée de l’immobilier à Hong Kong dont le prix au mètre-carré était déjà le plus cher au monde? De nombreux commerçants, notamment dans l’habillement, abandonnent les centres-villes malgré l’afflux de clients!

JC: Vous avez mis le doigt sur notre principal souci à l’heure actuelle. Lorsque votre contrat de bail arrive à expiration, le propriétaire va réclamer une augmentation de 300%! Ceci explique en partie la délocalisation vers la Chine continentale.

ES: Et en Chine, justement, comment se portent vos boutiques?

JC: Depuis 2008, nous avons enregistré une progression annuelle de 30 à 40%, mais en 2011, la progression est retombée à 25%. Vous savez, dans tout business, l’augmentation finit par se tasser. Un autre aspect, la Chine a été considérée comme l’usine du monde avec une main d’œuvre bon marché où l’on peut tout produire. Mais la crise en Europe et aux Etats Unis commence à affecter la production ici, en Chine où l’indice des directeurs d’achat (PMI) est déjà en repli. Il faudra du temps pour relancer la machine. Heureusement, Hong Kong est un haut lieu du tourisme et nous ne sommes pas directement affectés par ces phénomènes.

ES: Qu’en est-il du service après-vente de Prince, avez-vous un atelier de réparation?

JC: Chaque boutique Prince possède un petit service pour résoudre les petits problèmes. Mais les marques de luxe ne nous autorisent pas à ouvrir les montres, nous devons les renvoyer à la manufacture qui dressera un devis.

ES: Vous vendez une soixantaines de marques et douze de prestige. Comment faites-vous pour les devantures?

JC: Nous représentons presque toutes les marques, excepté Rolex et Patek Philippe. Chaque boutique a son propre assortiment en fonction du positionnement. C’est aussi bien pour la formation de nos vendeurs qui peuvent se faire la main dans le moyen de gamme avant d’aborder la haute horlogerie. Sinon ils trembleraient de peur… (rires)

((encadré))

Lieu: Siège à la Star House de Tsimshatsui, à Hong Kong et notre magasin principal, à la Nathan Road, également à Tsimshatsui.

Ancienneté: 28 ans

Employés: environ 500

Nombre de boutiques: 40 (Hong Kong, Chine et Macao)

Surface d’une boutique (m2): jusqu’à 16 000, dans la boutique principale. Prix de vente moyen (USD): confidentiel, mais en catégorie de luxe à plus de 13 000.

Marques: plus de 60 de renom international et 12 de prestige: A. Lange & Söhne, Audemars Piguet, Blancpain, Breguet, Chopard, Franck Muller, IWC, Jaeger-LeCoultre, Panerai, Piaget Roger Dubuis et Ulysse Nardin.

Source: Europa Star Première Vol.14, No 5