SWISS PAVILLON La foire horlogère de Shenzhen, c’est la nouvelle vitrine des marques chinoises. Pourtant, au cœur de la halle principale, un pavillon au luxe discret abrite une dizaine de petites marques suisses qui tentent leur chance sur le marché chinois.
Dans le Swiss Pavillon, ne cherchez ni Vacheron, ni Constantin! Les marques présentes sont de petites manufactures indépendantes suisses largement inconnues du grand public qui, autour d’Amarildo Pilo, abordent en direct le marché chinois. Le président des montres Pilo & Co Genève, à l’origine de la démarche, nous explique le concept et les enjeux.
- Amarildo Pilo at the 2012 Shenzhen Watch Fair
Europa Star: Le Swiss Pavillon de la foire de Shenzhen ouvre-t-il les portes du marché chinois? Amarildo Pilo: L’idée est d’offrir une plateforme aux indépendants avec des produits différents ou complémentaires. Notre pavillon est à l’image d’un petit village suisse, habité de véritables horlogers locaux. Pour la forme, on s’est inspiré des «Boutiques» de la halle 5 du BaselWorld.
ES:Quels avantages par rapport à la foire de Hong Kong? AP: Hong Kong n’a pas de structures d’accueil adéquates pour les petites marques suisses indépendantes, mais surtout distributeurs et exposants savent parfaitement ce qu’ils recherchent. A Shenzhen, le participant s’expose directement au réseau de distribution chinois. Et puis, ici, c’est nettement plus abordable puisqu’une participation au Swiss Pavillon ne coûte que 6800 francs, avion, hôtel, stand et encadrement compris!
ES: On vient donc ici pour trouver un distributeur chinois? AP:Absolument! Ce qui soulève deux questions fondamentales: ces réseaux de distribution sont-ils prêts à accueillir des petites marques suisses indépendantes et ces dernières accepteront-elles de partager les vitrines avec des marques chinoises? Car en termes de prix, on ne navigue pas au même niveau.
ES: Shenzhen, c’est la Chine continentale, on y parle surtout mandarin, un peu cantonais, plus rarement anglais… AP: Chaque exposant dispose de son propre interprète, ce qui rend les contacts assez faciles. Dans mon cas, ça fait sept ans que je suis sur ce marché, avec plusieurs points de vente à l’appui. Voilà pourquoi, désormais, je veux donner un coup de main aux autres petites marques.
ES: En leur proposant éventuellement vos propres points de vente? AP: Non, car en Chine, Pilo possède ses propres boutiques monomarques. Par contre, il est urgent que les petites marques se soutiennent car les gagnants d’aujourd’hui sont les groupes horlogers. Tout en restant indépendantes, elles devraient s’en inspirer et se regrouper. Le Swiss Pavillon forme déjà une sorte de groupe au pouvoir de conquête.
ES: Combien de participants pour la prochaine édition, en 2013? AP: Le double! C’est déjà presque le cas de cette deuxième édition, mais le problème, c’est que les horlogers indépendants ont encore peur de se lancer en Chine «en direct». Ce sont plutôt des travailleurs de l’ombre, guère habitués à s’exposer. Ici, soudain, ils se retrouvent face au client, une démarche commerciale jugée peut-être trop audacieuse par certains.
- The Swiss Pavilion at the Shenzhen Watch Fair
ES: Avec leur montée en puissance, les marques chinoises se profilent-elles comme votre nouveau rival? AP: Les petites marques suisses subissent d’abord le blocage d’ETA sur les mouvements, ce qui les condamne soit à mourir, soit à monter en gamme. Voilà pourquoi nous perdons le marché du moyen de gamme qui fait quand même beaucoup vivre l’industrie suisse. En stoppant la livraison de mouvements ETA, ce sont les indépendants les premiers à souffrir car ils ne font que de petites quantités. Ce blocage a également doublé nos prix, ce qui ne nous permet plus de rivaliser avec Tissot ou Certina du Swatch Group. Cette situation profite directement à l’industrie horlogère chinoise.
ES: La menace chinoise est-elle plus grande aujourd’hui que ne l’était la japonaise, il y a trente ans? AP: Elle est très différente. Le Japon a évolué à une autre époque, avec des mouvements simples à trois aiguilles, convaincant par leur qualité. En revanche, l’horlogerie japonaise ne s’est jamais lancée dans les complications, contrairement à la chinoise aujourd’hui. Leurs mécanismes sont de plus en plus sophistiqués et l’évolution est ultra rapide. Quant aux puissants groupes suisses, ils ont les moyens de développer des complications et de monopoliser le haut-de-gamme.
ES: A l’avenir, les petits horlogers ne seront-ils pas tentés d’utiliser des complications chinoises comme base à perfectionner? TAG Heuer a bien fait cette démarche avec un calibre Seiko… AP: Personnellement j’y suis opposé pour protéger l’industrie suisse certes mais surtout pour protéger la création. N’oublions pas que la création provient pour une bonne part de petits horlogers, en clôturant le système, on tue la création . Finalement, Sea-Gull et d’autres compagnies chinoises ont compris qu’en faisant des complications à bon prix et de meilleure qualité, elles s’ouvrent un nouveau potentiel. Car en Suisse, les complications sont fatalement très chères.
ES: La solution? AP: Il faut qu’ETA fasse un pas en arrière et libère la fourniture de mouvements. Les montres suisses plaisent, pourquoi fermer les portes?
ES: En attendant, risque-t-on pas des abus? AP: Depuis une dizaine d’années, des groupes aux moyens financiers énormes comme Dolce & Gabbana, Guess, Armani font du “fashion” et n’utilisent finalement que des mouvements chinois. C’est eux qui profitent du système, pas l’industrie horlogère suisse ni les indépendants.
ES: Un monde de “marques”? AP: Ici marque ne veut pas dire “Patek Philippe”, mais ceux qui font de la pub, du marketing et vendent de l’image.
ES: Avec le Swiss Pavillon, la résistance s’organise? AP: IA l’avenir, on pourrait imaginer des magasins et expositions d’indépendants partout dans le monde. Car chez les indépendants, le client trouve une montre de très petite série, atypique et authentique.
“Trois ou quatre contacts prometteurs en une journée”
PARICIPANT Nicolas Voyame, de la marque Evilard Watch, participe pour la première fois à la foire de Shenzhen.
“Evilard Watch a été créée par mon arrière-grand-père en 1948 et stoppée par mon grand-père dans les années 90 par manque de relève. Il a pourtant gardé la société en espérant qu’un jour je puisse la reprendre. C’est ce que j’ai fait il y a deux ans, à l’âge de 27 ans”.
A son établi, le jeune homme est animé par la passion. “Notre production annuelle ne dépasse pas 500 montres avec des éditions limitées à 100 pièces. Tous les cadrans qui sont fait main, avec décors brossé-soleil et dans des métaux nobles tels que le ruthénium, le rhodium et l’or noir. Notre mouvement ETA est entièrement retravaillé au niveau du perlage et du biseau.”
Grâce à la foire de Shenzhen, la petite marque nourrit de grands espoirs d’expansion. “Après la première des quatre journées, on a déjà trois ou quatre contacts prometteurs qu’il faudra suivre par la suite, bien sûr. Je conseille à d’autres indépendants suisses de venir ici, cela permet notamment de mieux positionner ses produits à ce marché. D’autant plus que c’est tout à fait abordable et l’encadrement est parfait, on m’a même fourni l’établi que je demandais”.