En 1969, Seiko remportait le Concours de Chronométrie de l’Observatoire de Neuchâtel. La réponse helvétique fut immédiate: les Concours de Chronométrie ne seraient plus organisés!
En plein déclenchement de la “crise du quartz”, il fallait dresser des pare-feux et empêcher que les Japonais ne se saisissent de cet avantage. On connaît la suite, la longue descente aux enfers de l’horlogerie suisse dévastée par le quartz puis sa remontée à la surface suivie de son triomphe avec la relégitimation progressive de la voie royale qu’est celle de la montre mécanique.
Cette renaissance a été rendue possible par un très important effort de rationalisation industrielle emmenée par Nicolas Hayek à la tête de la SMH qui deviendra par la suite le Swatch Group. Devenu le fournisseur quasi-exclusif de toute l’horlogerie mécanique helvétique en pleine renaissance, à qui il a très ponctuellement et très régulièrement fourni tous les composants dits stratégiques (et, à l’époque, Europa Star fourmillait de publicités pour ETA), le Swatch Group a par la suite réorienté sa stratégie industrielle au profit de plus en plus exclusif de ses propres marques en pleine expansion en avertissant dès 2001 qu’ il allait progressivement cesser de fournir les maisons tierces devenues graduellement, en partie grâce à lui, d’importants concurrentes.
Qui pensait alors que cette décision allait entrouvrir une brèche dans les murs de la forteresse suisse, brèche qui allait permettre aux Japonais de faire aujourd’hui, douze ans plus tard, leur entrée fracassante au sein du territoire horloger helvétique? Et ce au moment même où la FH et le gouvernement suisse s’entendaient pour renforcer les critères du Swiss Made!
Faute d’avoir développé par elles-mêmes toutes les alternatives industrielles nécessaires pour faire face à la limitation progressive des livraisons du Swatch Group, les marques helvétiques voient désormais les Japonais s’introduire dans les zones stratégiques du terrain. Citizen a ainsi racheté le fabricant de mouvement La Joux-Perret, une des alternatives (partielles) à ETA, au nez et à la barbe des groupes et des marques suisses (le Swatch Group ne pouvait pas surenchérir, la Commission de la Concurrence l’aurait certainement empêché). Dans le même temps, TAG Heuer, brutalement privé d’assortiments par Nivarox-FAR, se tournait vers Seiko pour s’approvisionner en spiraux. Voici donc les deux géants japonais installés à des degrés divers au coeur de la “fabrique” horlogère suisse. Nul doute que pour Seiko cette opération intervient à point nommé car la marque, qui n’a jamais cessé de produire des montres mécaniques de très haute qualité mais distribuées jusqu’à présent essentiellement sur le marché intérieur japonais, se lance aujourd’hui dans une vaste offensive destinée à promouvoir internationalement ses garde-temps mécaniques sous la dénomination Grand Seiko. Quant à Citizen, l’acquisition de La Joux-Perret peut lui permettre de s’imposer graduellement comme la seule véritable alternative de masse face au retrait d’ETA. Encore faudra-t-il que le groupe nippon y consacre de très importants moyens. Ce que Citizen Holdings, qui pèse lourd, peut sans doute s’autoriser.
Tout ça, nous assure-t-on de toutes parts, n’affectera en rien le sacro-saint Swiss Made! Sur le papier, non. Car dans les faits, la “suissitude” horlogère, à 50%, à 60% voire à plus, ressemblera de toutes façons à une coquille vide. Mais l’important n’est pas là, dans la “pureté” présumée de ce label. L’important est dans la préservation d’un tissu industriel et artisanal le plus dense possible. L’idéal serait aussi qu’il demeure le plus indépendant possible. Mais ça, c’est une autre affaire, bien plus large, qui a à voir avec la prééminence grandissante des groupes dans tous les secteurs économiques et dans le monde entier. Que ceux-ci s’appellent Swatch, Richemont, LVMH, Seiko ou Citizen n’est que secondaire...
Source: Europa Star Première Vol.14, No 3