Ekaterina Sotnikova a ouvert à Paris une galerie marchande proposant des montres d’horlogers indépendants. Originalité et prestige.
« Il y a plein de préjugés sur les femmes de l’Est. » Si l’un d’eux est la beauté slave, alors Ekaterina Sotnikova, qui semble les avoir affrontés, ne les fait pas tous tomber. Cette jeune femme aux grands yeux vert-amande et aux cheveux châtains vient d’ouvrir à Paris, à deux pas des Champs-Elysées, une galerie de montres de haut vol, Ekso Watches Gallery. C’est une sorte de salon feutré aux tonalités marron-champagne, dans lequel sont disposés huit présentoirs vitrés renfermant des créations d’horlogers indépendants, de nationalités diverses, installés en Suisse ou dans leur pays, parmi lesquels Speake-Marin, Vianney Halter, Ludovic Ballouard, Kari Voutilainen, Bovet, Stefan Kudoke ou encore Grönefeld.
- EKSO WATCHES GALLERY
Des noms et des marques qui ne disent rien au consommateur de masse mais beaucoup aux happy-few. Située dans les étages d’un immeuble de bureaux, on accède à la galerie sur rendez-vous, par un ascenseur fonctionnant à clé. Face aux merveilles exposées, on se sent à la fois petit et important. Car tout est à vendre, non pas les lieux mais la marchandise. Portefeuille épais exigé.
Ekaterina Sotnikova est une maîtresse-femme. De la poigne à en revendre sous son apparente fragilité. Et une passion de dix-huit ans pour les montres, dit-elle, les belles montres, cela va de soi. C’est une drôle de trajectoire que la sienne. Elle est née en Lettonie au temps de l’URSS, a grandi à Saint-Pétersbourg. Adolescente, elle est une gymnaste de haut niveau. Une blessure, à 16 ans, met un terme à sa carrière sportive. Qu’à cela ne tienne, elle deviendra docteur en économie. « A l’époque, c’était ce qui était prestigieux », dit-elle avec naturel. « Quand j’ai fini mes études, il a fallu trouver un travail en Russie. » Cette perspective ne l’emballait guère. Et puis, côté « vie privée, ce n’était pas le top non plus ». Elle décide alors de s’expatrier. Mais vers où ?
Vers Paris, bien sûr. « J’avais déjà un amour pour Paris. » Des connaissances en Russie, introduites dans la famille politique du président Poutine, la mettent en contact avec l’UMP – doit-on dire le « parti frère » français ? Elle décroche donc un « job » à l’UMP en tant que « chargée des relations avec les élus de l’Est ».
« Les trois premières années à Paris n’ont pas été faciles pour moi. Mais j’ai décidé de m’accrocher. Rentrer en Russie, ça voulait dire que je n’avais pas réussi en France. » Elle s’accroche donc, rencontre à l’UMP celui qui deviendra son mari – elle tait son nom –, un avocat dont le cabinet héberge aujourd’hui la galerie Ekso Watches. « Mon mari voyait que j’aimais les montres. Mais que faire ? Ouvrir une boutique, non. Je me suis tournée vers les horlogers indépendants. J’étais passionnée mais n’y connaissais rien en technique. J’ai suivi une formation à la Fondation de la Haute Horlogerie de Genève. La montre que j’ai montée n’a pas marché », dit-elle en souriant, dans un français parfait ourlé d’un délicieux accent russe.
Son premier « Bâle » remonte à trois ans, pour voir et pour acheter, au « feeling ». « J’ai fait beaucoup moins d’erreurs dans mes choix la seconde année », confie-t-elle. Son mari, qu’elle a « contaminé » de sa fougue pour les montres, l’accompagne cette fois-là. Elle est aujourd’hui à la tête d’une collection d’une trentaine de montres et en relation avec un groupe restreint de fabricants, des « artistes » qu’elle couve, chérit et bouscule si besoin est.
« Certains ne savent pas se vendre », constate-t-elle avec bienveillance. Elle connaît tout d’eux, leur rend visite fréquemment, apporte sa touche personnelle à l’élaboration de modèles et – pas économiste pour rien – a conclu avec eux un accord qui la désigne comme vendeur exclusif.
Du modèle « Serpent Calendrier » façonné par l’Anglais Peter Speake-Marin qu’elle tient dans ses mains gantées, elle dit, heureuse comme une grande enfant : « Aiguille sinueuse qui donne la date ; boîtier or blanc très épais, usiné à la main ; cadran en émail. » Elle s’extasie devant l’« Antiqua » du Français Vianney Halter, créée en 1998, une bizarrerie munie de quatre cadrans en forme de hublots marins, « 2000 heures de travail ». « A l’époque, note-t-elle, ça avait fait l’événement à Bâle. »
Quelques-uns des modèles en vente à la galerie valent des centaines de milliers d’euros. Un lourd investissement – privé – pour Ekaterina Sotnikova qui compte bien rentabiliser son affaire. Elle se donne cinq ans pour réussir.
Source: Europa Star August - September 2013 Magazine Issue