“Revelation”, le nom dit l’essentiel. L’essentiel d’une démarche singulière de deux designers horlogers expérimentés qui partagent leur atelier comme leur vie: Anouk Danthe et Olivier Leu.
- Anouk Danthe and Olivier Leu
Comme toute démarche, elle démarre à partir d’un constat. “Stylistiquement, l’horlogerie contemporaine est divisée en deux grandes catégories dominantes: d’un côté des montres à dominante noire, sobres ou plus musclées; de l’autre, des montres qui dévoilent, voire exhibent leur propre mouvement”, observent-ils.
Et de se demander alors: “et si l’on faisait les deux à la fois? Et si une montre pouvait à la fois afficher un visage fait de sobriété et par ailleurs dévoiler le moteur qui la fait tourner?”. Idée folle?
A priori, oui.
Sauf qu’il existe au monde des papillons, et que les ailes de ces papillons ont une structure telle qu’elle modifie les propriétés des ondes lumineuses qu’elles renvoient. Un phénomène qu’on appelle la “polarisation”.
Certaines ailes de papillons qui nous apparaissent chatoyant de couleurs vives, sont en fait transparentes ou grises. C’est le renvoi des ondes de lumière qui, venant frapper des structures nanométriques, donne l’apparence de la couleur. Un verre polarisé, comme sur les lunettes de soleil dites du même nom, permet ainsi, en augmentant le contraste, de mieux discerner les variations de l’intensité lumineuse, selon leur degré de polarisation.
Eurêka.
Montre à deux visages
Ainsi, en superposant deux disques optiques de quartz creusés de sillons tridimensionnels nanométriques invisibles à l’oeil nu et en les faisant pivoter l’un sur l’autre d’un angle de 45º, on bloquera les ondes lumineuses ou, alternativement, on les laissera passer. On pourra ainsi disposer d’un cadran noir totalement opaque ou, en pivotant le disque de façon à laisser passer la lumière, on aura une “révélation”: on verra apparaître le mouvement qui bat sous le cadran (un peu comme à travers des stores invisibles qu’on rabattrait ou qu’on entrouvrirait). Et ou aura ainsi deux montres en une. Ce que le brevet déposé par Revelation exprime en une “hiérarchisation des informations dans une montre en empruntant les lois de la polarisation.”
Cinq ans de développement
A partir de là, cinq ans vont être nécessaires au développement de la montre. La très délicate fabrication nanométrique des disques polarisants est confiée au Centre Suisse d’Electronique et de Microtechnique (CSEM), un laboratoire de Neuchâtel à la pointe de la recherche (c’est notamment le CSEM qui a joué un rôle primordial dans la technologie du silicium appliquée aux organes réglants). Mais puisqu’il y aura “révélation” du mouvement, celui-ci doit pleinement mériter qu’on le dévoile aussi théâtralement. Après avoir essuyé quelques déboires suite à la faillite du constructeur BNB, à qui les deux designers avaient confié la réalisation de leur premier mouvement, Anouk Danthe et Olivier Leu décident de développer leur propre mouvement. Pour ce faire, ils réunissent une “task force” technique: un ingénieur, deux spécialistes horlogers vétérans, l’un spécialisé dans l’échappement et les rouages et l’autre dans le barillet.
Ensemble, ils conçoivent un régulateur qui emprunte à la fois au tourbillon et au carrousel. Ils vont le nommer “tourbillon manège”. La spécificité de cette construction tient au positionnement particulier du pignon d’échappement, de l’ancre et du balancier qui sont tous montés sur un pont mobile volant. Fixé à l’extrémité du manège, à l’opposé du système réglant, un petit lingot d’or 18 carats fait office de contrepoids. Du coup, ce montage dégage un espace conséquent pour le balancier qui arbore une forme très particulière, doté de trois double bras. Ce manège est pris entre deux roues montées sur l’axe central qui lui assure une rotation s’effectuant en une minute. Le tout, qui bat à 21’600 alternances / heure est alimenté en énergie par quatre barillets montés en série qui lui fournissent une réserve de marche à remontage manuel de 48 heures.
Spectacle assuré. D’autant plus que tous les composants, fabriqués par plus de 40 sous-traitants de l’Arc jurassien, sont terminés et décorés selon les canons de la haute horlogerie: anglage, chanfreinage, traits tirés, perçages terminés en forme de “goutte” pour faire ressortir l’éclat des rubis, platine subtilement microbillée, ponts superbement dessinés, vis personnalisées, dentures au profil spécifique, raquetterie faite sur mesure... On est donc pleinement fondé à qualifier ce mouvement de véritable mouvement “manufacture”, à l’exclusivité incontestable.
Du capot à la bague tournante
A la mi-2011, Revelation dévoile son premier modèle, la montre R01. C’est une montre à capot, équipée du “Revelation System” qui permet de faire pivoter un verre en soulevant la lunette de la montre, donc de transformer un mouvement vertical en mouvement rotatif: une vis sans fin couplée à un différentiel entraîne une bague sur laquelle le verre est monté. Cette boîte, une complication à elle seule, est composée de 71 éléments, usinés individuellement sur CNC, à partir d’un kilo et demi d’or, pour parvenir à un boîtier de 154 grammes. Quinze exemplaires seront réalisés, à ce jour, tous vendus.
- The R04 WATCH, aka the TOURBILLON MAGICAL WATCH DIAL
Mais Revelation veut aller plus loin car le système de capot demande à être soulevé pour que le mouvement apparaisse. Le modèle suivant sera donc plus “versatile” encore, et portable sous ses deux visages. Présentée cette année à BaselWorld, la montre R04, Tourbillon Magical Watch Dial, dotée d’un semblable tourbillon manège, offre une solution très élégante: une simple bague tournante permet de changer la polarisation et donc de passer sans même qu’on le remarque d’une montre au cadran noir profond à un élégant tourbillon tournant sous un verre qui semble légèrement fumé.
Une vraie marque, pas un produit unique
Mais l’ambition de Revelation n’est pas de se limiter à un mouvement tourbillon, aussi beau soit-il. Les deux designers sont bien décidés à faire de Revelation une véritable marque, offrant une palette de produits.
En collaboration avec Dubois Dépraz, un mouvement chronographe a été développé et son esthétique entièrement personnalisée, dont une version flyback or rose ou titane a été présentée à BaselWorld. Cet élargissement de la collection permet aussi de toucher une nouvelle clientèle, aux moyens plus modestes. Car si le tourbillon-manège se vend entre 160’000.- CHF et 220’000.- CHF, le chronographe simple, doté du dispositif de bague tournante “Revelation System”, se négocie en-dessous des 15’000.- CHF, ou aux environs des 18’000.- CFH pour le chrono flyback en titane.
Les moins de dix points de vente ouverts à ce jour (CH, I., Esp., UK, HK, Japon prochainement) sont encore loin de suffire aux ambitions de la jeune marque qui a écoulé 100 pièces en 2012 mais dont l’objectif à moyen terme est de parvenir à 1’000 pièces. Dans le rude climat qui règne aujourd’hui dans la distribution, c’est un vrai défi pour cette jeune marque qui ne pourra construire un solide réseau qu’auprès de détaillants pointus, prêts à s’investir pour des montres qui nécessitent d’être véritablement manipulées par le client pour en ressentir l’exceptionnelle magie. Mais les atouts de Revelation ne sont pas des moindres et la polarisation n’a pas épuisé, loin de là, toutes ses possibilités. Les lignes de recherche dans la maîtrise des structures nanométriques permettant par exemples de renvoyer de la couleur, semblent très prometteuses. Mais dans le pipe-line de la maison, on trouve aussi une automatique trois aiguilles qui pourra se prêter à toutes sortes de “révélations”: un logo, un texte, un dessin, une décoration spécifique, voire une image érotique pourront ainsi tour à tour apparaître ou disparaître.
Source: Europa Star August - September 2013 Magazine Issue