Avec 200’000 montres écoulées en 2012, pour un prix public moyen d’environ 2’000.- CHF (la gamme proposée par la marque va de 850.- à 5’000.- CHF, le coeur de l’offre se situant entre 1250.- et 3500.- CHF) Raymond Weil est une des plus importantes marques indépendantes suisses, familiale de surcroît.
Europa Star a rencontré Olivier Bernheim, gendre du fondateur Raymond Weil, aujourd’hui retiré de l’opérationnel, qui pilote la marque avec ses deux fils, Pierre et Elie Bernheim.
Europa Star: Comment analysez-vous l’année horlogère qui vient de s’écouler, dont les résultats sont en progression de près de 11%, à 21,4 milliards de CHF, sachant que ce sont les montres de plus de 3’000.- CHF (prix à l’export) qui ont le plus augmenté, tant en valeur (+18%) qu’en nombre (+13,1%) et que le segment dans lequel vous vous trouvez (entre 500.- et 3’000.- CHF) n’a lui connu qu’une progression de 0,3% en valeur?
Olivier Bernheim: 2012, in fine, a été une année tout à fait positive et en progression pour nous également. Et ce bien que certains pays où nous sommes très bien implantés ont été pratiquement rayés de la carte. Je pense au Portugal, à l’Espagne, à l’Italie, à la Grèce mais aussi à la Libye ou à l’Egypte. Mais parallèlement, nous avons enregistré des ventes très importantes et en constante augmentation aux USA et au Royaume-Uni. Ceci dit, ce qui me semble caractériser la situation actuelle, est l’incertitude générale qui règne. Il en résulte un manque de sécurité générale. Les grands référents qui aident à construire une stratégie à moyen terme ont disparu, la valeur des monnaies est devenue imprévisible, nous contraignant à nous adapter au jour le jour. Bref, les perspectives se sont un peu estompées dans le brouillard général.
ES: Et qu’en est-il sur le front de la distribution? On a longtemps vanté la solidité et la profondeur de votre réseau international, clé de votre succès...
OB: Il y a un double mouvement. D’une part, le système traditionnel des distributeurs ne fonctionne plus vraiment. C’est une question de marges dégagées mais aussi de mission. Autrefois, un distributeur avait de véritables responsabilités et pouvait prendre des décisions. Aujourd’hui, une marque se doit d’être mondialisée en termes d’image et d’offre. Parallèlement, le contact direct avec les détaillants est devenu plus nécessaire que jamais. Il permet une analyse en profondeur des performances atteintes, devenue impérative car tout, sous la pression des banques notamment, est devenu plus analytique.
|
ES: Au fur et à mesure de votre montée en gamme, avez vous requalifié, comme on dit, votre réseau de détaillants?
OB: A l’exception des USA, où, auparavant, nous étions focalisés sur les grandes chaînes et où nous avons ouvert nombre d’indépendants de qualité, ailleurs nous avons tendance à fermer un certain nombre de vitrines pour mieux nous concentrer sur les meilleures enseignes. Notre grand avantage, en tant qu’indépendants, est de pouvoir offrir aux détaillants une alternative de qualité, une rapidité de réaction, une réactivité supérieure à celle des grands groupes qui, personne n’en est dupe, cherchent à prendre physiquement de plus en plus de place. Nous avons aussi ouvert environ une trentaine de boutiques mono-marques, toujours en collaboration avec des locaux. Tout récemment, ça été le cas de Singapour, de l’Indonésie et aussi de Bombay où nous venons d’ouvrir notre troisième boutique.
ES: Mais quels sont les atouts spécifiques de Raymond Weil pour un détaillant?
OB: Notre offre! C’est une offre juste, en ce moment, qui coïncide bien avec les attentes du public. Notre positionnement prix est également juste et il y a un bon équilibre entre les différentes collections ce qui permet de bien faire comprendre au consommateur les atouts de chaque produit en fonction de son prix. Notre plus forte progression est dans les montres mécaniques, tant pour homme que pour femme. Et ceci pas seulement en Chine, dont le marché est rapidement devenu très horloger. Notre effort est donc d’asseoir notre marque sur sa réputation horlogère.
ES: Vous avez évoqué auparavant la disparition progressive des distributeurs traditionnels, mais comment êtes-vous structuré aujourd’hui?
OB: Nous avons trois grandes filiales régionales: aux USA, qui couvre aussi le Canada, en Autriche, qui couvre aussi l’Allemagne, la Hongrie, l’Espagne et les petits pays de l’est européen, et l’Inde. Début mars, nous ouvrons une nouvelle filiale en Grande Bretagne. Les autres pays sont pilotés depuis notre siège genevois.
ES: Et en terme de verticalisation de la production?
OB: Nous ne tenons pas à nous verticaliser plus que nous ne le sommes déjà. C’est à dire que nous maîtrisons à l’interne tout le R&D, la conceptualisation, le prototypage, ainsi que l’habillage. En mouvements mécaniques, nous nous approvisionnons auprès d’ETA, de Sellita, de Dubois Dépraz. Nous avons par ailleurs un atelier d’assemblage à La Chaux-de-Fonds, tant pour le quartz que pour la mécanique, dans lequel nous assemblons entre 55% et 60% de notre production, le reste étant confié à des fournisseurs externes. Mais je crois que c’est très important de conserver cette part extérieure qui permet de fructueux échanges d’expérience.
|
ES: Vos deux fils, qui sont aux commandes à vos côtés, ont récemment créé une nouvelle marque, “88 Rue du Rhône”. Est-ce une seconde marque Raymond Weil?
OB: Non, l’idée est d’être là où Raymond Weil était présent il y a 20 ans. C’est à dire dans une échelle de prix plus bas, entre 350.- CHF pour du quartz jusqu’à 1150.- pour de l’automatique. C’est une marque Swiss Made destinée à un public plus jeune, une marque plus sensible à la mode et dont les canaux de promotion se focalisent plus sur le web et l’interactivité. Il est possible aussi de les acheter en ligne, mais selon une formule qui ne lèse aucun de nos détaillants, c’est à dire en devant d’abord sélectionner un détaillant avant d’être redirigé sur le magasin en ligne.
ES: Mais comment cohabitent les deux marques?
OB: C’est une offre tout à fait complémentaire et qui ne vient pas empiéter sur le territoire de Raymond Weil. Ceci dit, elle profite d’un “effet de groupe” et nous essayons de la placer partout où nous sommes déjà présents. Pour le détaillant, elle offre de nombreux avantages. C’est certes une marque de plus, mais un seul et même fournisseur, Raymond Weil, avec lequel le climat de confiance est déjà bel et bien établi. Pour un détaillant, c’est tout bénéfice avec l’assurance de faire du chiffre d’affaires supplémentaire. Une opération win-win, comme on dit.
ES: Dernière question, la Chine? On en parle beaucoup, sans cesse...
OB: Après les USA, c’est notre marché numéro 2. Nous y avons 138 points de vente et nous vendons énormément aux Chinois à l’extérieur de la Chine. Et, grâce à notre positionnement prix-qualité très bien calculé, nous ne sommes affectés que dans une très moindre mesure par un phénomène majeur: en Chine, il y a beaucoup de sell-in, beaucoup moins de sell-out. Nous, nos montres se vendent.
Source: Europa Star Première Vol.15, No 1