Comment succéder au charismatique Rolf Schnyder, patron emblématique d’Ulysse Nardin,
subitement décédé en avril 2011? Comment succéder à ce visionnaire qui avait racheté
l’entreprise familiale en 1983, alors que plus personne ne croyait à l’avenir de la montre
mécanique, et qui a réussi à la ramener au pinacle des marques helvétiques?
Ce sont avec ces questions en tête qu’Europa Star est allé à la rencontre de Patrik
Hoffmann, nommé CEO deux courtes semaines seulement après le décès de Rolf Schnyder.
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Europa Star: Une année s’est passée depuis la mort de Rolf Schnyder et on a l’impression qu’Ulysse Nardin, dont l’image était pourtant si intimement liée à la personnalité de son patron, a poursuivi comme tout naturellement son cours. Comment s’est passée cette transition forcée?
Patrik Hoffmann: Il y avait évidemment une très forte personnalisation de la marque Ulysse Nardin, cristallisée autour de celui qui en avait fait un succès considérable. Mais Rolf avait tout préparé. A sa mort, tout était prêt pour la meilleure des transitions possibles, dans une entreprise qui compte quand même plus de 400 personnes. Car il n’était pas seul, loin de là. La force de notre entreprise tient à un groupe dirigeant très soudé, qui était déjà là, autour de lui: Pierre Gygax, le “Mr Silicium”, à présent COO, Susanne Hurni, responsable de toute la communication, Lucas Humair, à la tête des opérations à la Chaux-de-Fonds, Patrice Carrel, responsable des finances et de la logistique, et moi-même, nommé CEO. Il n’y a donc eu aucune interruption, dans aucun domaine, et nous fonctionnons un peu comme le Conseil Fédéral, en bonne intelligence et dans un climat excellent.
ES: Dans cette configuration collégiale, quel est votre rôle de CEO?
PH: Mon rôle est d’avoir l’image la plus complète possible de la société, toute l’image. Au niveau financier, la compagnie est parfaitement saine: nous appartenons au trust familial mis en place par Rolf Schnyder et nous ne devons strictement rien aux banques. Tous nos investissements sont faits à l’interne. Au niveau essentiel des produits et des mouvements, la direction prise depuis des années était et reste très claire. Une des dernières choses que Rolf ait faite, avant sa mort, fut de présenter notre tout nouveau calibre maison 118 à BaselWorld 2011. Un pas capital pour Ulysse Nardin. Ça faisait dix ans qu’on y travaillait mais la décision de le construire pour de bon a été prise il y a quatre ans: il nous fallait notre “tracteur” de base et celui-ci arrive maintenant à point nommé.
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ES: Ce calibre 118 va-t-il équiper toutes vos montres?
PH: Nous produisons environ 25’000 montres par an. Cette année, 3’000 calibres 118 seront disponibles, 8’000 à 10’000 l’année prochaine. Notre objectif est de parvenir à environ 80% de montres équipées de notre calibre d’ici 5 ans. Mais ces douze derniers mois, nous avons aussi fait trois autres pas importants.
ES: Lesquels?
PH: Toujours en termes de mouvement, nous avons racheté à Ebel leur mouvement chronographe 137 qui sortira désormais sous le nom de Calibre 150. Nous avions lancé en 1996 un calendrier perpétuel dont la base avait été conjointement développée avec la Nouvelle Lémania d’alors et avec Ebel qui en avait fait un chronographe. En rachetant à Ebel les droits, les plans, les composants existants de ce calibre et en engageant 5 personnes de leur équipe, nous avons créé une synergie entre ces deux mouvements issus d’une même base et disposons désormais d’un chronographe quantième perpétuel.
Deuxième pas important, nous avons acquis une participation dans Ochsundjunior, la compagnie de Ludwig Oechslin qui fonctionnera un peu comme un think tank. Elle développera ses produits sur la base de nos calibres et nous aurons accès les uns aux autres. Mais comme vous le savez, Ludwig Oechslin est encore à la tête du Musée International d’Horlogerie de la Chaux-de-Fonds, il a un devoir de réserve mais dès la fin de son mandat, en 2014, il sera exclusivement au service d’Ulysse Nardin.
Enfin, et c’est très important pour nous, nous avons racheté Donzé Cadrans, un spécialiste des cadrans haut de gamme et de l’émail, qui est une de nos spécialités fondamentales.
ES:A ce propos, Ulysse Nardin, contrairement à d’autres marques comparables, n’a pas un modèle iconique, immédiatement identifiable. On pense à la Freak, certes, mais c’est une montre très particulière, on pense aussi à l’émail...
PH: Oui, c’est exact. Nous avons une collection très large et c’est à la fois une bénédiction et un problème. Une bénédiction car beaucoup de nos clients possèdent plusieurs Ulysse Nardin. Par exemple, aux USA, nous avons constaté que plus de 50% d’acheteurs possédaient déjà une de nos montres. Mais au niveau de la production et du marketing, c’est évidemment beaucoup plus difficile. Actuellement, nous réduisons de façon significative le nombre de nos références. Couper, c’est parfois aussi important que de créer de nouveaux modèles. Au niveau du design, nous procédons aussi à des transformations esthétiques de modèles existants. Nous leur donnons une nouvelle allure, plus forte et plus contemporaine qui est très bien reçue. Car désormais le client n’achète plus seulement pour la fonction et pour l’excellence mécanique, mais aussi pour le “look”.
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ES: Au point de vue de la distribution, quel est votre stratégie? On sait que les temps deviennent plus durs pour les indépendants...
PH: Notre grande chance est d’être parfaitement équilibrés et de marcher sur quatre pattes si l’on peut dire. En gros, notre distribution se partage en quatre zones qui chacune pèse le même poids, c’est à dire aux environs de 25%: les Amériques, gérées par une filiale; la Russie et les pays avoisinants, gérés par une autre filiale qui emploie plus de 30 personnes; l’Asie, avec une filiale à Hong Kong et un bureau à Shanghai; puis l’Europe, pilotée depuis un bureau en Allemagne et le Middle East que nous gérons directement depuis Le Locle.
A total, ça représente environ 500 détaillants, avec lesquels nous avons de très forts liens de confiance et des perspectives de long terme. Nous avons certes un réseau de 16 boutiques en nom propre, mais nous accordons la priorité à notre réseau de détaillants. A cause ou grâce, pourrait-on dire, aux politiques de contrôle des grands groupes, de nouvelles opportunités s’ouvrent aussi avec les indépendants...
ES: Et le marché suisse?
PH: C’est vrai que nous l’avons un peu négligé. Mais bientôt vous aurez une surprise! En Europe aussi, nous allons faire de nouveaux efforts. Mais je n’en dis pas plus pour l’instant...
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Source: Europa Star Première Vol.14, No 4