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Edito : Horlogerie sismographe

August 2012


Il règne en ce moment une drôle d’ambiance chez les horlogers suisses. Fort du spectaculaire et rapide redressement opéré suite à la plongée post-crise de 2009, la machine s’est à nouveau emballée, les chiffres d’exportation sont remontés au zénith, les très importants investissements productifs ont été confirmés. Partout ce ne sont que nouveaux établissements en construction, projets d’extension et autres redéploiements et regroupements. Parallèlement, une frénésie d’achats de sous-traitants a saisi les groupes et les grandes marques. Dans ce domaine, la chasse est encore ouverte même si le gibier tend à se raréfier.

Mais derrière ces gros appétits et ces grandes manoeuvres, on sent poindre une sourde angoisse, non, le mot est peut-être un peu trop fort, disons une anxiété palpable. La croissance semble marquer une petite pause et aussitôt les compteurs s’affolent. Et si la Chine ralentissait vraiment à son tour? Et si l’Europe n’arrivait pas à se sortir de la crise? Et si l’euro explosait? Et si le protectionnisme redevenait à la mode?

Edito : Horlogerie sismographe

Ces interrogations, direz-vous, ne concernent pas seulement l’horlogerie, cette goutte d’eau dans l’océan économique mondial. Mais l’horlogerie a ceci de particulier qu’elle est aussi sensible qu’un sismographe aux frissons de l’économie générale. D’autant plus que le paradoxe veut que cet art et cette industrie du temps n’a décidément pas beaucoup de mémoire et n’agit le plus souvent qu’à court terme. La Chine s’ouvre: emplissons au plus vite tous les tiroirs, bourrons ce pays-continent de marchandises, saturons les vitrines, occupons le moindre espace! Il se dit pourtant (notre correspondant à Shanghai nous le confirme) que bien de ces orgueilleux flagships qui sentent encore la peinture fraîche sont la plupart du temps déserts. Les faramineux chiffres d’exportation en Chine ( +79% entre mai 2010 et mai 2012) ne seraient-ils que du sell-in? Ou très largement du sell-in? Le doute s’installe, contribuant à cette “drôle d’ambiance” que nous évoquons.

Sismographe des sismographes, les fournisseurs et les branches annexes de la profession horlogère disent tous que les commandes se font à nouveau très prudentes, voire même sont repoussées à plusieurs mois. Autre indice: en dehors de quelques stars sous les sunlights, les indépendants sont plus que jamais à la peine. Face à la force de frappe des grands groupes, ils bricolent leur destin comme ils peuvent, glissent le pied dans les portes qui s’entrouvrent, tentent de se faufiler entre les mailles d’un filet qui se resserre dangereusement tout autour d’eux, répétant comme un mantra que la pression des groupes leur ouvre de nouvelles opportunités.

Mais dans cette drôle d’ambiance, les innovations continuent à fleurir et les alternatives arrivent à maturité, comme nous en témoignons dans le numéro Spécial mécanique d’Europa Star. L’horlogerie est aussi sensible qu’un sismographe, elle monte, descend et remonte plus vite que d’autres, elle va et elle vient au rythme du monde. Son histoire témoigne de la nôtre.

Photo: Composant de l’aiguille centrale pour le Mikrotourbillon de TAG Heuer

Source: Europa Star Première Vol.14, No 4