premiere


Alors, BaselWorld 2012...? – Partie 1

May 2012


La question qui nous est rituellement posée au retour de BaselWorld se résume à un mot: “alors?” Alors quoi? Les tendances, les bruits et les rumeurs, les stratégies et les tactiques, les changements et les permanences, les nouveaux modèles, les succès et les inquiétudes...?
On se retrouve à chaque fois un peu embarrassé car comment résumer la formidable et kilométrique caverne d’Ali Baba qu’est BaselWorld, dans laquelle se côtoient presque démocratiquement de somptueux trésors et de modestes breloques. Comment répondre simplement à une question (trop) simple alors que l’horlogerie, tout comme nos sociétés, avance à des vitesses bien différentes selon que l’on soit puissant et reconnu ou faible et inconnu. Alors oui, les chiffres globaux sont excellents et les perspectives semblent riantes. Mais derrière cette accorte et souriante façade, s’ouvrent des paysages bien plus contrastés.

Sourde anxiété
Il y avait cette année quelque chose de curieux dans l’atmosphère bâloise, comme une légère mais perceptible anxiété. Avec ses 19,3 milliards (+19,2%) 2011 fut certes une année historique mais ces chiffres ont été atteints dans un contexte général qui a vu s’accélérer la concentration en cours, que ce soit dans le domaine de la production comme dans celui de la distribution. En fait, c’est toute la structure de la branche horlogère – particulièrement en Suisse – qui est en train de se modifier et de chercher ses nouveaux équilibres. Et à n’en pas douter, ce rééquilibrage – mais le terme est sans doute trop faible pour ce qui est une véritable mutation - va encore s’accélérer au cours de l’année à venir. Une vaste partie de go est en cours qui explique la fébrilité de certains acteurs qui voient leurs positions s’effriter et leurs territoires se rétrécir. Parmi ces acteurs figurent marques, agents, distributeurs et détaillants qui tous redoutent les effets de la vaste verticalisation entamée symboliquement il y a douze ans quand Richemont a racheté LMH (Jaeger-LeCoultre, IWC, A. Lange & Söhne) pour plus de 3 milliards de CHF, qu’en même temps LVMH rachetait TAG Heuer pour 739 millions de dollars (soit 1,138 milliard de CHF de l’époque), et que simultanément Nicolas Hayek annonçait son intention de graduellement arrêter la livraison de mouvements à des tiers. Il aura donc fallu une dizaine d’années pour que les effets de ce “big bang” – constitution des grands groupes et arrêt programmé des livraisons d’ETA et de Nivarox-FAR – se fassent pleinement ressentir, à la fois pour le meilleur – la réindustrialisation progressive de la Suisse horlogère – et pour le pire – l’étouffement tout aussi progressif des marques, des distributeurs et des détaillants indépendants.
Cette reconfiguration va encore s’accélérer avec la fermeture programmée d’un très vaste nombre de vitrines indépendantes (à titre d’exemple, on racontait dans les couloirs de Bâle, sans pouvoir le vérifier, que sur les quelques 80 points de vente Omega existants aujourd’hui en Suisse, il n’en subsisterait qu’une dizaine d’ici deux ans) au profit des marques elles-mêmes et de leurs propres réseaux de boutiques, et des grands groupes de distribution et leurs “multiplexes” horlogers planifiés un peu partout.

Tropismes asiatiques
D’autres considérations ajoutaient à la nervosité ambiante. Parmi celles-ci, l’annonce toute récente du rachat stratégique du fabricant de mouvements La Joux-Perret par le groupe japonais Citizen (qui, rappelons-le au passage, pèse près de 1,5 milliard de CHF, soit à peu près l’équivalent de l’horlogerie LVMH) ou encore le passage, plus symbolique mais néanmoins marquant, d’Eterna (qui produit une part de ses propres mouvements) en mains chinoises, voire celui, anecdotique pour le coup, de de Grisogono passé quant à lui en mains lusitano-angolaises!
Outre Citizen, qui s’installe au cœur de l’horlogerie suisse et qui va donc bientôt pouvoir proposer des mouvements mécaniques Miyota Swiss Made, l’autre géant japonais Seiko vient apporter une aide décisive à TAG Heuer, privé depuis le début de cette année d’assortiments Nivarox-FAR (Swatch Group) en lui fournissant des assortiments produits par sa filiale Seiko Instruments Inc. (SII) spécialement développés et bénéficiant du procédé de pointe Liga. Les cartes sont donc en pleine redistribution et les joueurs qui se sont réveillés un peu tard face à la menace clairement brandie par le Swatch Group, se pressent désormais fébrilement autour de la table. (lire à ce sujet notre éditorial)

Alors, BaselWorld 2012...? – Partie 1

Autre sujet de fébrilité largement commenté à BaselWorld, la dépendance envers l’empire chinois (Chine continentale, HK, etc...), qui absorbe plus de la moitié des montres exportées de Suisse. Certains y voient le risque d’une grosse “bulle” qui pourrait fort bien exploser à la faveur d’un retournement politique ou économique. Face à tous ces périls, réels pour certains, encore imaginaires pour d’autres, les premiers contre-feux s’allument ici et là. “Les distributeurs et les détaillants savent maintenant qu’ils vont perdre leurs vaches à lait”, nous explique ainsi Jan Edöcs qui a quitté Milus (en mains chinoises) pour intégrer Consalve, un consultant en “business development” et un “family office” basé à Berne. Il entend y développer des solutions alternatives, passant par des plateformes de coordination regroupant investisseurs, marques et distributeurs indépendants, à même de proposer des alternatives viables aux détaillants indépendants qui se voient soit privés de marques porteuses, soit contraints par celles-ci de remplir leurs tiroirs à ras-bord. (suite)

Source: Europa Star Première Vol.14, No 3