Du présent faisons table rase. Le passé seul est prometteur. L’internationale des « dettes souveraines »: voilà le chant nouveau. Hélas pour la Grèce, qui l’entonne dans le chaos. Alors oui, c’était mieux avant, il y a plus de 2000 ans, quand la civilisation hellénistique rayonnait en Méditerranée. Le 10 octobre à Paris, au Musée des arts et métiers, anciennement prieuré royal, une montre, gros vaisseau acier-or, est comme surgie des profondeurs. Son nom : Anticythère. Son fabricant: Hublot. Trois exemplaires en tout et pour tout.
Elle est une sorte de réplique au célèbre calculateur astronomique découvert en 1901 par des pêcheurs grecs au large de l’île d’Anticythère. Le musée parisien lui consacre une exposition qui approche au plus près le mystère de ce mécanisme datant du premier siècle avant Jésus-Christ, dont les reliques, fragiles comme de vieux os, sont conservées au Musée archéologique d’Athènes.
Le patron de Hublot, Jean-Claude Biver, tout à sa joie de mécène, retire de cette aventure à « trois, cinq millions » une gloire symbolique où percent la fierté et l’ironie: « Toutes les marques de l’horlogerie datent du 19e siècle, Hublot, de 87 ans avant Jésus-Christ ! »
Record battu.
Rien de tout cela n’aurait été possible sans l’argent de la marque helvétique (propriété de la multinationale française LVMH), qui réalise là une belle opération de communication, à la mesure de son apparent désintéressement. La rencontre entre des chercheurs grecs en sciences humaines, un musée français et un horloger suisse haut de gamme était hautement improbable. La passion intacte de Mathias Buttet, aujourd’hui directeur « Fabrication, Recherche et Développement » chez Hublot, l’a permise.
Tout a commencé en 2008 par la lecture d’un article dans le mensuel français « Science et Vie ». Il y était question d’Anticythère, de physique et d’astronomie, d’une équipe de scientifiques grecs emmenée par le Grec Yanis Bitsakis, d’une volonté de percer d’autres inconnues encore attachées à cet objet unique – on n’en a jamais trouvé de semblable. « Je suis tombé amoureux d’Anticythère », se souvient Mathias Buttet, alors directeur de BNB Concept SA, sise à Duillier, dans le canton de Vaud. « On a dit beaucoup de choses sur ce mouvement hérité de l’Antiquité et conçu sans doute par des descendants d’Archimède. Pour ma part, je n’y vois rien de religieux. C’est une époque marquée par l’empirisme. On fait des relevés, jour après jour. Par un modèle mathématique on arrive à prévoir les éclipses de la Lune et du Soleil. »
L’horloger, tel Indiana Jones face à une énigme grandiose, entreprend de miniaturiser en montre-bracelet le mouvement original, de la taille d’une boîte à chaussures. Sa société, qui emploie 180 personnes, fait faillite en 2010 à cause de la crise. Mais il y a là des compétences à revendre. Hublot, l’un des gros clients de BNB, installé à Nyon, à cinq minutes de Duillier, embauche Mathias Buttet et trente de ses collaborateurs. Dans ses valises, le projet Anticythère. « J’ai dit à Jean-Claude Biver : “Il ne faut pas être un voleur de tombe. Il ne faut pas faire de cette montre un produit commercial, mais un hommage à nos pères scientifiques, à nos pères précurseurs.” »
De leur côté, les Grecs voulaient organiser une exposition sur Anticythère au Musée des arts et métiers, à Paris. Le patron de Hublot a dit « banco » : il a financé l’exposition et la fabrication de la montre bracelet, en trois exemplaires, donc. L’un destiné au Musée des arts et métiers, un autre au Musée d’archéologie d’Athènes, un troisième au Musée Hublot.
Efthymos Nikolaïdis, comme d’autres de ses amis grecs, a mangé son chapeau, mais il ne semble pas le regretter : « Nous sommes des chercheurs en sciences humaines et nous n’avons pas l’habitude de travailler avec des industriels. D’un autre côté, nous n’avons plus du tout de fonds public depuis 20 ans, et aujourd’hui moins que jamais. Nous avons donc cherché des sponsors. » Ce fut, c’est Jean-Claude Biver. L’Europe est revenue au temps des Médicis.
Exposition « Anticythère » au Musée des arts et métiers (http://www.arts-et-metiers.net/), jusqu’à juin 2012. Adresse : 60 rue Réaumur, 75003 Paris.
Source: Europa Star Première Vol.13, No 6