La marque Tutima vient de présenter à Glashütte la première répétition minutes intégralement allemande jamais réalisée: la Tutima Hommage Minute Repeater. Comment et pourquoi cette marque avant tout connue pour ses montres d’aviateur et ses modèles sportifs et qui vient de se réinstaller à Glashütte, où elle a inauguré une nouvelle petite manufacture, s’est-elle lancée dans la réalisation d’une montre particulièrement compliquée et aussi sophistiquée qu’une répétition minutes? Pour mieux le comprendre, il est impératif de faire un saut en arrière et de remonter à l’année 1927.
Un visionnaire
A la fin de la Première guerre mondiale, la crise frappe l’Allemagne de plein fouet. L’industrie horlogère basée à Glashütte en souffre dramatiquement et seuls Lange et une ou deux autres marques parviennent à surnager. La coopérative DPUG (pour Deutsche Präzisions- Uhrenfabrik Glashütte) qui tente de regrouper les forces vives subsistant encore est créée en 1918 mais, au milieu des années 20 elle fait faillite. Elle est alors reprise par une banque coopérative qui fonde l’UROFA et l’UFAG en 1927. Un homme de 26 ans est nommé à la tête de l’UROFA, le Dr Ernst Kurtz. Kurtz est un visionnaire. Il décide de cesser toute fabrication de montres de poche et d’industrialiser la profession. Son idée est de scinder l’activité en deux: d’un côté une compagnie qui produirait les mouvements et de l’autre une compagnie les emboîtant. Chapeautant le tout, des marques s’attelant à la commercialisation de cette production. Une production que le Dr Kurtz veut de qualité mais à prix abordables. L’accent est mis sur la précision, la fiabilité. Les standards sont élevés. Deux mouvements de base sont conçus: le Cal. 58, dit “Raumnutzwerk”, un mouvement de forme, et un mouvement rond, le Cal. 59 qui va donner naissance au premier chronographe flyback intégré allemand, brisant ainsi le monopole helvétique. Vers 1935, parmi toutes les marques qu’il imagine, il crée le nom Tutima (du latin tutus, tutissima qui signifie “protégé”), une marque destinée à recevoir le meilleur de la production faite à Glashütte, et tout particulièrement le nouveau Calibre UROFA 59. Le “fliegerchronograph” de Tutima, vu dès lors comme la référence absolue dans le domaine de la montre de pilote, sera ainsi produit à 30’000 exemplaires et deviendra la montre de la Luftwaffe.
Tutima à l’ouest
Mais à la fin de la guerre, en 1945, Ernst Kurtz, qui avait déjà eu maille à partir avec les Nazis car il avait tout tenté pour que ses jeunes horlogers ne partent pas à l’armée et fut brièvement emprisonné par la Gestapo, décide de passer à l’Ouest devant l’avancée des Soviétiques. Son rêve est d’y recréer un “Glashütte”, d’abord sous son propre nom puis sous le nom de Tutima. Mais malgré les dizaines de millions de mouvements qu’il parvient à produire dans les années qui suivent, l’affaire périclite et, en 1959, les banques le contraignent à fermer ses portes. C’est alors, au début des années 60, que se présente Dieter Delecate, un ancien employé de la firme qui reprend la marque Tutima dans l’idée d’en refaire la montre de pilote de référence. Pour y parvenir, il redessine la montre et mise sur le marché professionnel, devenant au tournant des année 80 la montre officielle de la Bundeswehr et de l’OTAN.
Retour à Glashütte
En 2005, Dieter Delecate – aujourd’hui toujours à la tête de Tutima – décide de revenir partiellement sur les lieux de naissance de sa marque, Glashütte. Un bâtiment est trouvé, restauré, et un homme est engagé, Rolf Lang. Ce maître-horloger à la longue expérience est aussi l’ancien conservateur du célèbre “Salon des Mathématique et de la Physique” du baroque palais du Zwinger à Dresde, qui compte parmi les plus importantes collections horlogères historiques au monde. Dieter Delecate lui demande d’imaginer une montre qui rende hommage au glorieux passé de Glashütte en général et au Dr Kurz en particulier. Aucune répétition minutes intégralement originale n’ayant jamais été créee et produite à Glashütte (les montres de poche à répétition produites à Glashütte l’ayant été avec des composants suisses), la décision est prise. Dès 2007 de jeunes horlogers sont engagés et l’Hommage est introduite en 2011.
Vingt-cinq pièces de la Tutima Hommage Minute Repeater seront produites en tout, dont 15 avec cadran plein et 10 “squelettées”. L’ensemble des 550 composants – dont ancre, roue d’ancre, ressort de barillet - est fait à l’interne, à la seule exception du spiral.
Devenir la marque sportive allemande
Comme l’explique Frank Müller (à ne pas confondre avec son homonyme), ancien CEO de Glashütte Original (qui appartient au Swatch Group) et présentement consultant et conseiller auprès de Tutima (il est aussi le concepteur du très beau German Watch Museum de Glashütte, voulu en son temps par Nicolas Hayek), “la Tutima Hommage Minute Repeater est là à titre de démonstration de savoir-faire horloger”. Cette spectaculaire réalisation, qui sera suivie par d’autres, ne doit pas faire oublier que l’ambition de Tutima est essentiellement de devenir “la montre sportive allemande de référence”. Par “allemande”, il faut bien comprendre que Tutima pose ici les bases de son futur développement. Après la présente phase de transition, l’objectif déclaré de la marque est de parvenir à terme à produire des mouvements de base qui soient 100% Tutima, des mouvements abordables mais d’une qualité “Made in Germany”, en espérant que ceux-ci puissent être intégralement réalisés à Glashütte, dont le tissu industriel ravagé par la guerre puis la période de régime communiste, est en cours de reconstitution. Cette ambition, pour audacieuse qu’elle soit, est parfaitement en phase avec l’histoire de Glashütte: dès le démarrage de l’horlogerie dans cette vallée saxonne, le but recherché était de parvenir à faire de véritables instruments de précision qui, comme l’avait montré le Dr. Kurtz en son temps, allient qualité et prix abordables. Un défi que Tutima, fort de sa légitimité horlogère pleinement retrouvée, entend mener tambour battant.
Source: Europa Star Première Vol.13, No 5