Tout horloger digne de ce nom doit bien évidemment maîtriser les “ressorts cachés” du temps, de la mesure mécanique du temps, s’entend.
Question de technique, d’art aussi, de goût, toutes choses qui s’apprennent, s’acquièrent. Mais il est une chose qui ne s’apprend pas: quelque chose que certains appellent “chance”, mais qu’il serait plus exact de nommer “intuition”. L’intuition ne se calcule pas, elle est l’art d’arriver au bon moment, au bon endroit, avec la bonne proposition.
C’est un peu ce qui est arrivé à Laurent Ferrier. A peine avait-il dévoilé, à plus de 60 ans passés, sa première montre, qu’un buzz planétaire s’est déclenché. D’inconnu, Laurent Ferrier a aussitôt été projeté sous les feux de la scène horlogère, jusqu’à recevoir l’année même de ses débuts officiels, un Grand Prix d’Horlogerie de Genève pour sa pièce “Galet Classic”. Du jamais vu! La géniale intuition de Laurent Ferrier est d’être arrivé, après les folles années d’excès mécaniques et esthétiques en tous genres – années d’overstatement sanctionnées par la violente crise que l’on sait – avec une proposition d’une évidente limpidité: une montre en forme de “galet” de la plus grande pureté possible, une trois aiguilles avec chiffres romains (comme il en existe par ailleurs des centaines) mais poussant la politesse de son understatement jusqu’à cacher le tourbillon double spiral qui l’anime au dos de la pièce (ce qui, incidemment, le protège également des rayons ultra-violets qui, on le sait, altèrent les huiles et donc nuisent à la chronométrie). Un contre-pied donc absolu à l’esthétique flamboyante qui prévalait encore. Mais cette seule caractéristique n’aurait pas suffi si ce “Galet Classic” ne se voulait pas “parfait” sous tous ses aspects, techniques, esthétiques et chronométriques, s’il n’apparaissait pas tel une évidence horlogère.
Laurent et Christian Ferrier, GALET CLASSIC |
Aller jusqu’au superflu
Cette pièce, en effet, n’est nullement le résultat d’une quelconque analyse marketing pariant sur le retour du classicisme. Elle est simplement issue de la passion d’un homme ayant accumulé un très large savoir-faire horloger (notamment de nombreuses années passées chez Patek Philippe) et désireux, comme il le dit lui-même, "de faire une pièce contenant tout ce que j’ai appris en horlogerie.“Le”plan marketing“se résumant à:”on va faire une pièce et puis après on verra bien!" Et on a vu.
On a ainsi vu une pièce dont le moindre détail, comme le dit Laurent Ferrier lui-même, est poussé “au-delà du bien, jusqu’au superflu”, que ce “détail” soit d’ordre esthétique ou technique. Inspiré, au sens le plus profond du terme, par la grande horlogerie classique, Laurent Ferrier a ainsi cherché à parfaire sa pièce sous tous ses aspects en partant du principe que la chronométrie ne pouvait qu’être améliorée par le soin apporté à la beauté de l’exécution. Architecturalement, le mouvement intégralement original qui anime le Galet Classic Tourbillon Double Spiral, se caractérise par ses deux larges ponts monoblocs qui lui procurent une solidité et une robustesse supérieures – Laurent Ferrier tient à ce que ses pièces puissent être véritablement portées - sans rien ôter à son élégance. Ce double pont encadre un tourbillon d’une finesse absolument remarquable.
L’ouverture permet ainsi d’admirer non seulement la rigueur de la finition décorative – on ne compte plus les angles rentrants exécutés au burin, les aciers arrondis, les polissages parfaits – mais aussi de voir battre le double spiral opposé (un Straumann) choisi pour la contribution qu’il apporte à la chronométrie de la pièce. Toujours centré, le double spiral permet en effet d’atteindre la même amplitude en position verticale et en position horizontale: une importante contribution chronométrique (le delta – coefficient de variation - de toutes les pièces Laurent Ferrier est inférieur à 4 secondes, alors que le COSC s’établit à un delta de 10). Sur le haut du mouvement, on peut apercevoir un autre détail, parfaitement emblématique de l’approche horlogère de Laurent Ferrier, un cliquet à lame longue pour le remontage de la pièce (en lieu et place du moderne ressort de tirette), comme cela se pratiquait autrefois, ajusté à la main, et qui procure une douceur de remontage exceptionnelle – que l’on peut sentir au bout du doigt mais également écouter...
Car sous son allure rigoureuse, le Galet de Ferrier est une montre extrêmement sensuelle, à l’œil, au toucher comme au porter (observez la finesse et la beauté des aiguilles en forme de sagaies, ou encore le translucide cadran en émail grand feu).
Galet Secret
Immédiatement reconnu par les collectionneurs les plus pointus comme par ses pairs (un Philippe Dufour, référence en la matière, ne tarit pas d’éloge), Laurent Ferrier et son équipe ont rapidement présenté deux autres réalisations. Au début de cette année, la marque dévoilait son Galet Secret, une pièce dotée du même mouvement tourbillon à double spiral mais qui recèle en plus un subtil mécanisme breveté qui permet (à la demande ou de façon programmée) en écartant à 240° les deux glaces saphir, de dévoiler un second cadran dissimulé sous le premier. Celui-ci, dans la première exécution de la pièce, est un magnifique ciel nocturne émaillé par Anita Porchet. Dédiée aux arts décoratifs horlogers, la collection Galet Secret, composée uniquement de pièces uniques, visitera tour à tour et à choix l’émail, la peinture miniature, le sertissage, la taille douce, etc...
GALET SECRET |
Un micro-rotor de haute performance
Mais c’est la troisième pièce, présentée à BaselWorld, qui démontre pleinement les ambitions de Laurent Ferrier et de son équipe (collaborent étroitement avec lui son fils, Christian, horloger émérite, ainsi que Michel Navas et Enrico Barbasini de la Fabrique du Temps - qu’Europa Star présentera plus en détail dans un prochain numéro).
En effet, avec son Galet Micro-rotor Entre-Ponts, Laurent Ferrier présente son mouvement de base automatique – et qui dit “mouvement de base” pense obligatoirement à des développements ultérieurs. En-soi, le micro-rotor permet d’obtenir un mouvement mécanique très plat mais, désavantage, il remonte objectivement moins bien qu’un rotor central (il nécessite le double de rotations, soit environ 300 au lieu de 150, nécessaires pour armer le barillet d’un tour de rochet). A partir de ce constat, Laurent Ferrier et ses associés ont réfléchi à l’amélioration globale de l’efficacité de la gestion énergétique du mouvement en aval, seule à même de palier ce défaut de remontage. Sachant que l’échappement à ancre suisse, s’il est ultra-fiable, perd beaucoup d’énergie à la source (entre 20% et 40%), ils se sont tournés vers “l’échappement naturel” imaginé par Breguet. Un des avantages de cet échappement à double impulsion directe au balancier est de donner deux impulsions par oscillation, “un peu comme une balançoire qui serait poussée des deux côtés”, explique Laurent Ferrier. Mais à l’époque, Breguet ne disposait ni des matériaux nécessaires, ni des moyens de fraisage suffisamment précis, ni de la lubrification indispensable pour faire fonctionner correctement cet échappement, composé donc de deux roues d’échappement qui impulsent directement sur le balancier. La piste avait donc été abandonnée par Breguet lui-même. Mais en ayant recours à une ancre réalisée en silicium et nickel phosphore, ainsi qu’à des roues d’échappement en Liga (donc d’une précision de forme supérieure), l’équipe est parvenue à optimiser le rendement de cet échappement libre et donc à réduire le couple nécessaire à l’armage du ressort de barillet, améliorant du même coup le remontage du mouvement. Cette optimisation énergétique ne s’arrête pas là: le micro-rotor lui-même est doté d’un pont supérieur et est ainsi pris entre deux rubis, ce qui améliore sa stabilité et optimise son pouvoir remontant. Autre particularité, le système de remontage est à cliquet – et non pas à roulement à billes, “trop bruyant et trop peu horloger” pour Laurent Ferrier – et agit multidirectionnelle, ce qui est plus efficace. Enfin, la micro-masse est fixée sur son axe entre deux O-rings, selon le principe du silentbloc. Additionnées, ces innovations ont permis d’améliorer le pouvoir remontant de la micro-masse d’environ un tiers et d’atteindre une réserve de marche de 80 heures.
GALET MICRO-ROTOR ENTRE-PONTS |
Pureté protestante
Esthétiquement, ce mouvement aux excellentes qualités chronométriques, pleinement visible, est terminé de façon superlative: ponts décorés Côtes de Genève, platine perlée, flancs anglés main, bras de roues biseautés, têtes de vis polies, angles rentrants réalisés à la main, polissages manuels... Il est abrité dans un boîtier en or massif gris ou rouge sobre, épuré et lisse comme...un galet, est doté d’une couronne de type “boule” et son cadran, inspiré de la montre-école que Laurent Ferrier avait réalisée en 1968 à l’Ecole d’Horlogerie de Genève, argenté ou gris ardoise, satiné vertical, creusé d’une petite seconde à 6h, est magnifiquement lisible, graphiquement ponctué de longs index appliques fuselés. Une apparence d’une modestie très raffinée. Et en ceci, on peut dire que Laurent Ferrier exprime ainsi le meilleur de l’horlogerie genevoise, née, on le sait bien, avec le protestantisme prônant retenue, discrétion et vertu. Ce qui en langage horloger peut se traduire par simplicité, pureté et haute qualité technique. Tout pour plaire, donc, à notre époque qui a bien besoin d’une cure d’austérité. Reste que les élus seront peu nombreux: en 2011, Laurent Ferrier aura livré une trentaine de pièces – toutes des tourbillons et les deux Galet Secret réalisés jusqu’à présent. En 2012, la jeune marque prévoit d’écouler 150 Galet Microrotor et une quarantaine de tourbillons.
Source: Europa Star Première Vol.13, No 4