Après la disparition de Rolf Schnyder, son président et CEO, la manufacture Ulysse Nardin poursuit sur la voie de l’indépendance. Et l’innovation qui a fait sa réputation demeure une priorité. Au programme cette année, la montée en puissance de la production du nouveau calibre UN-118 doté d’un échappement en DIAMonSIL.
L’histoire est désormais connue : lorsque Rolf Schnyder rachète la société en 1983, elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été. En fait, Ulysse Nardin se résume alors à un nom et deux horlogers. C’est peu, mais suffisant pour que Rolf Schnyder y croie, certain de l’avenir d’une horlogerie mécanique innovante. Or il sait qu’il n’y parviendra pas seul, et le hasard veut qu’il rencontre Ludwig Oechslin, génial inventeur multi-talents, aujourd’hui conservateur du Musée International d’Horlogerie (MIH) à La Chaux-de-Fonds. De cette rencontre naîtra une amitié, et de cette amitié une collection de légende, la Trilogie du Temps. L’Astrolabium Galileo Galilei, le Planetarium Copernicus et le Tellurium Johannes Kepler ont durablement marqué les esprits en même temps que le retour d’Ulysse Nardin parmi les grands noms de l’horlogerie suisse. D’autres modèles signés Ludwig Oechslin viendront enrichir la collection : le GMT± Perpétuel, la Sonata, la Moonstruck et bien sûr le Freak, restée aux yeux de Rolf Schnyder la pièce emblématique de l’esprit Ulysse Nardin.
Ainsi, c’est par des modèles marquants et par un travail intense dans le domaine de l’innovation qu’Ulysse Nardin est parvenue à susciter à nouveau passion et engouement auprès de très nombreux collectionneurs. Le refus de succomber à toutes les modes et la cohérence dans la marche en avant de la manufacture feront le reste. De fait, Ulysse Nardin demeure aujourd’hui l’une des rares entreprises de haute horlogerie encore indépendante. En avril dernier, un coup de tonnerre s’abat sur la marque avec la disparition de Rolf Schnyder.
Rolf Schnyder a ressuscité Ulysse Nardin, rachetée en 1983., Patrick P. Hoffmann, le nouveau CEO d’Ulysse Nardin, La manufacture Ulysse Nardin à La Chaux-de-Fonds |
L’innovation, entre évidence et nécessité
En poste aux Etats-Unis et entré dans la société en 1999, Patrick P. Hoffmann est très rapidement nommé CEO, comme l’avait envisagé Rolf Schnyder. Et avec lui, c’est une équipe de direction soudée qui poursuit l’œuvre de Rolf Schnyder. De fait, avec Patrick P. Hoffmann, les cinq personnes qui composent aujourd’hui la direction d’Ulysse Nardin - Susanne Hurni à la communication, Pierre Gygax en tant que COO, Patrice Carrel le CFO et Lucas Humair à la manufacture - sont toutes dans la société depuis au minimum 12 ans. C’est dire qu’il y a une véritable continuité.
« L’une des marques de fabrique d’Ulysse Nardin est sa capacité d’innovation, insiste Patrick P. Hoffmann. Cela est largement reconnu. Donc continuité rime chez nous avec évolution. Nous allons donc continuer à faire évoluer la société. Nous avons pris récemment la décision d’enclencher des processus de R&D dont les résultats ne verront pas le jour avant 2015. L’innovation, chez nous, est une évidence autant qu’une nécessité ». Puis d’ajouter : « La clé de l’indépendance réside dans la profitabilité. Vous devez être profitables pour être en mesure d’investir toujours dans la R&D et dans le développement global de votre société. Ulysse Nardin est une société saine qui n’a jamais eu recours aux banques pour assurer son développement. Cela doit se poursuivre ».
L’avenir de la société semble bel et bien ancré dans l’indépendance. Chai Schnyder, veuve de Rolf Schnyder et nouvelle présidente de la société, a déclaré à l’ensemble du personnel sa volonté de poursuivre dans la voie tracée. A savoir celle de l’indépendance qui implique une autonomie toujours plus grande en termes de mouvements. « Tous ceux qui ont participé à l’essor de la société depuis plus de 10 ans sont naturellement enthousiastes de continuer sur les mêmes bases, se réjouit Pierre Gygax. Cette proclamation d’indépendance est valorisante pour nous tous ; elle est aussi un vrai compliment ».
Ulysse Nardin produit aujourd’hui quelque 25’000 montres par an pour un chiffre d’affaires estimé à près de 200 millions de francs suisses. La société est dispersée entre son siège du Locle (140 personnes) qui regroupe l’administration, l’emboîtage, le service après-vente et l’atelier des grandes complications, et la manufacture de La Chaux-de-Fonds (150 autres personnes) qui règne sur toute l’activité mouvements, calibres maisons (environ 7000 unités par an) et externes confondus ; ces derniers étant dans leur grande majorité complétés d’un développement Ulysse Nardin. Quelque 90 autres collaborateurs sont occupés dans le monde par les filiales de la marque.
Des équipements modernes pour produire des mouvements maison. |
La manufacture intégrée
A ceux qui n’auraient pas suivi avec attention le développement de la manufacture, une visite s’impose. Sur 3000 m2 de surface à La Chaux-de-Fonds – en régulière extension –, Ulysse Nardin assure l’ensemble des étapes de production de ses mouvements maisons, de la conception au produit fini. Fort de 6 constructeurs et de 5 dessinateurs, le bureau de construction conçoit l’ensemble des calibres Ulysse Nardin, distribués en deux grandes familles, les calibres de 27 mm et de 31 mm. Les mouvements Perpetual, Moonstruck, Sonata, Freak ou encore le dernier-né, le calibre UN-118, sont entièrement conçus au sein de cette cellule de développement. Lequel peut s’appuyer sur un laboratoire extrêmement bien équipé pour réaliser les prototypes, tester, simuler, affiner ou encore corriger les maladies d’enfance des calibres, tout comme contrôler les qualités (étanchéité, résistance aux chocs, etc.) de l’ensemble des composants de la montre. La manufacture de La Chaux-de-Fonds, c’est aussi un indispensable bureau des méthodes et d’outillages ainsi qu’un bureau de qualité – indépendant des opérations de contrôle – qui vérifie tant la production interne que les composants en provenance de l’extérieur. Platines, ponts sont usinés sur des CNC de dernière génération tandis qu’un espace est réservé à toutes les activités de décolletage, taillage, roulage, etc. Les ébauches produites dans l’atelier mécanique sont ensuite décorées à l’interne (Côtes de Genève, colimaçonnage, anglage diamant, perlage, soleillage, etc.), tandis que le polissage, le traitement thermique et la galvanoplastie sont confiés en externe. En dépit de sa capacité à produire l’essentiel des composants – y compris les échappements en provenance de sa joint-venture Sigatec, assemblés et réglés à La Chaux-de-Fonds – pour ses propres mouvements, Ulysse Nardin a fait le choix de garder en parallèle des sources d’approvisionnement externes.
Depuis les premiers pas en direction de la manufacture, soit l’intégration du bureau technique dès 1997, puis l’arrivée de la première CNC en 1999 – Ulysse Nardin produisait alors 4000 montres par an – l’investissement (non communiqué, mais qui se chiffre dans tous les cas à plusieurs dizaines de millions de francs suisses) a été constant.
En parallèle, la société a fait preuve d’une curiosité et d’une vision peu commune puisqu’elle a toujours été en tête – ou dans le peloton de tête – dans la R&D sur les nouveaux matériaux, et en premier lieu le silicium. C’est Ulysse Nardin qui, en premier, s’approche en 2000 du CSEM de Neuchâtel (sur une idée de Michel Vermot, professeur à l’école d’ingénieurs du Locle) pour lui proposer de produire en silicium l’échappement Dual Direct de son nouveau modèle Freak. Les premières pièces sortent le 5 septembre 2000. Deux mois plus tard, le CSEM s’approche de Ludwig Oechslin pour lui demander quelle autre pièce de l’échappement pourrait être réalisée en silicium. Oechslin s’ose à proposer le spiral ! Les premiers spiraux selon les plans du MIH sont réalisés par le CSEM en mars 2002 : c’est tout simplement le début d’une ère nouvelle pour l’horlogerie.
De 2001 à 2004, Ulysse Nardin produit le Freak 01 avec échappement Dual Direct en silicium. Dès 2005, les Freak sont équipés d’un échappement de 2ème génération fonctionnant sans lubrifiant, le Dual Ulysse. Puis 2007 est l’année InnoVision, la montre mécanique « concept » sans lubrifiant présentant 10 innovations majeures. Dont certaines se retrouvent dès l’année suivante dans le modèle Sonata Silicium qui présente un échappement – y compris le spiral – en silicium. En 2010, la Freak Diavolo entre en scène, combinant les roulements à billes de MPS, les pièces LIGA de Mimotec et les pièces en silicium de Sigatec.
Dernier-né de la ligne, le Freak Diavolo et son échappement combinant pièces en LIGA et en silicium |
L’alliance diamant silicium
En parallèle, Ulysse Nardin s’intéresse dès 2002 aux vertus du diamant et lance une fabrication test de son échappement Dual Direct. Un test peu concluant mais très riche en enseignements. Les recherches se poursuivent et de gros investissements sont consentis jusqu’au lancement du Freak « Diamond Heart » en 2005. Mais au vu de son coût, le « tout diamant » n’est pas envisageable pour une production « ordinaire ». C’est pourquoi Ulysse Nardin a confié dès 2004 à GFD, une start-up active dans le domaine du diamant – le développement de la croissance de diamant sur des composants en silicium, d’où naîtra la technologie unique Diamond Coated Silicon. Un procédé prometteur – le modèle Freak DIAMonSIL de 2007 en est l’illustration - mais difficilement transposable en l’état à grande échelle. Il faudra encore quelques années de développement pour parvenir à des résultats satisfaisants, tels qu’ils furent présentés à Sion en novembre 2010. De fait, Ulysse Nardin a choisi d’acquérir la technologie de GFD et de l’industrialiser au sein de Sigatec, sur une installation de grande capacité dédiée aux besoins spécifiques des composants horlogers. Une technologie proposée à l’ensemble des marques horlogères, contrairement à ce que l’on constate dans de nombreux autres laboratoires…
Loin de se reposer sur ses lauriers, Ulysse Nardin va de l’avant à Sion, au Locle et à La Chaux-de-Fonds. De fait, ni le travail ni les projets ne manquent. A commencer par la montée en puissance de la production du calibre maison UN-118, un mouvement bien né qui a subi plus de 4000 heures de laboratoire. Ce calibre UN-118 est la clé de voûte du développement de la marque et la garantie de son indépendance.
Intégrant un échappement en DIAMonSIL (brevet Ulysse Nardin)le nouveau calibre UN-118 est un mouvement mécanique automatique, certifié chronomètre COSC, proposant les fonctions heures, minutes, petite seconde, indicateur de réserve de marche et date à 6h avec correcteur de date avant et arrière. Intégrant 248 composants, il propose une réserve de marche de 60 heures et bat à une fréquence de 4Hz (28’800 a/h). Ce calibre est d’autant plus important pour Ulysse Nardin qu’il est le premier d’une famille de mouvements qui seront développés et qui, tous, seront dotés de l’échappement en DIAMonSIL couplé à un oscillateur breveté comprenant une roue de balancier intertielle avec spital silicium 1.1.1. C’est dire que cette technologie sera à l’avenir la signature d’Ulysse Nardin et de ses mouvements maison.
Dans l’immédiat, Ulysse Nardin va s’atteler à monter en puissance la production du calibre UN-118 pour atteindre à moyen terme 10’000 à 15’000 unités. Pour ce faire, une chaîne d’assemblage supplémentaire sera installée dans les mois à venir. Aux commandes, 12 à 14 opérateurs pour assurer l’assemblage de la platine jusqu’au mouvement terminé, contrôlé, gravé et numéroté.
La nouveau calibre UN-118, clé de voûte du développement d’Ulysse Nardin. |
Le prestige sans snobisme
Qu’on ne s’y trompe pas, le passage à une production de ce type n’est pas une évidence puisqu’elle implique des processus beaucoup plus stricts à toutes les étapes de la production. Toutes les sociétés qui ont fait les efforts nécessaires à ce passage du statut d’artisan horloger à celui d’industriel comprennent parfaitement où est la difficulté. « Le fait de produire « industriellement » est assurément un autre métier, résume Lucas Humair, directeur technique de la manufacture. Tous les composants doivent être parfaits et ne nécessiter aucune retouche ». Présentant ce mouvement UN-118 à Baselworld en mars dernier, Rolf Schnyder ne disait pas autre chose : « En développant la technologie des mouvements en interne, Ulysse Nardin parvient à contrôler sa propre qualité, expliquait-il. De longue date, la marque s’investit activement dans des innovations qui font progresser l’horlogerie et elle s’attache à créer des garde-temps mécaniques qui inspireront les générations futures ». Ce souhait de Rolf Schnyder sera peut-être exaucé, tans les tiroirs de la manufacture regorgent de projets, dont plusieurs portent la patte de Ludwig Oechslin.
Par ailleurs, Ulysse Nardin poursuit sans cesse ses recherches – comme nombre de ses concurrents – sur les éléments stratégiques du mouvement mécanique que sont le spiral, l’échappement et le ressort de barillet. « Toutes ces recherches sont axées sur la fiabilité et la durée de vie de la montre mécanique, » précise le COO Pierre Gygax. Par ailleurs, Ulysse Nardin a des projets de développements dans toutes ces lignes de mouvements, à savoir sur le nouveau calibre UN-118, sur le calendrier perpétuel, sur Sonata, Moonstruck et Freak.
Ceux qui connaissent la société savent qu’elle est animée d’un esprit particulier. Un esprit que Patrik P. Hoffmann, le nouveau CEO, entend préserver à tout prix : « Avec Rolf Schnyder, Ulysse Nardin a fait la démonstration qu’il est possible de vendre des montres de prestige sans snobisme, d’être rigoureux sans se prendre au sérieux. Si nous parvenons à maintenir la marque dans cet état d’esprit, nous aurons déjà fait un bout du chemin. »
Source: Europa Star Première Vol.13, No 4