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Edito : Rétro-ingénierie et ré-innovation

August 2011


Il y a un but avoué: la “ré-innovation”. Et pour y parvenir, il y a les outils fournis par la “rétro-ingénierie”. Cette opération de “ré-innovation” passe par une série de phases que détaille le très officiel "PRC medium to long term plan 2006 – 2020“du ministère des sciences chinois*:”importation, absorption, assimilation et ré-innovation du savoir-faire étranger". En clair, il s’agit d’un plan institutionnalisé d’acquisition graduelle du savoir-faire étranger, non plus seulement en vue de le copier, comme cela a été couramment pratiqué au début du grand démarrage chinois, mais bel et bien de “l’absorber, de l’assimiler” pour le dépasser en le réinventant.

Il faut donc, grâce aux techniques de rétro-ingénierie, comprendre en détail le fonctionnement de tel ou tel objet, l’analyser en profondeur pour pouvoir en créer un nouveau aux fonctionnalités non seulement identiques mais, si possible, plus poussées encore.

L’opération prédatrice peut être le résultat d’espionnage industriel, de "captation sauvage de technologies“, de réseaux d’étudiants et de chercheurs”transformés en espions". Mais elle peut être aussi parfaitement légale, procéder de transferts technologiques dûment officialisés et ne violer aucun brevet. Selon un diplomate occidental en poste à Pékin*, la voie illégale de l’espionnage n’est "qu’une infime partie des modes de captation de l’information car près de 80% du savoir technologique est récupéré par des voies légales, appels d’offres, coopération, partenariat". Et sur le plan de l’espionnage industriel, les Occidentaux ne sont pas en reste. Dans le même article*, Jacques Follorou raconte que la DGSE (Direction générale de la Sécurité Extérieure de la France) "met à la disposition des grands patrons français, dans une pièce sécurisée de son siège à Paris, des documents commerciaux confidentiels dérobés grâce aux moyens satellites, y compris aux Chinois."

Qui espionne qui? La question est devenue plus complexe qu’auparavant, et la mondialisation de l’espionnage industriel ressemble à une galerie des glaces où tout le monde épie tout le monde (sous la surveillance générale des Américains qui disposent sans doute du réseau de “captation” des informations le plus performant au monde).

En lisant Europa Star n°308 l’article que notre correspondant en Chine, Jean-Luc Adam, consacre à la très discrète Beijing Watch Factory, on découvre avec quelque émerveillement, avouons-le, le double tourbillon, le tourbillon répétition minutes ou encore le tourbillon orbital que cette marque a réalisés. Ces réalisations sont issues d’un programme de “rétro-ingénierie” initié dès 1996 par le maître-horloger chinois Xu Yaonan, concepteur du premier tourbillon de Chine continentale, sorti en 2003 sous le nom victorieux de ’Hong Jin’, soit Or Rouge. (En passant, rendons hommage au pionnier Xiu Tai Yu, qui a malheureusement dû interrompre ses activités horlogères à la suite d’une attaque et à qui l’on doit le premier “Mystery Tourbillon”, réalisé à Hong Kong dix ans auparavant, en 1993).

On aurait tort de s’élever unilatéralement contre cette démonstration des performances de la rétro-ingénierie. Car, ne l’oublions jamais, l’histoire nous apprend que c’est en pratiquant la rétro-ingénierie que les horlogers genevois, vaudois et neuchâtelois assimilèrent puis dépassèrent – “ré-innovèrent” - la grande horlogerie française et anglaise. Car la rétro-ingénierie est vieille comme le monde. En 260 avant JC, les Romains, après avoir saisi un bateau ennemi,copièrent les procédés de standardisation employés par les Carthaginois dans la construction de leurs navires de guerre, y ajoutant au passage quelques améliorations techniques (comme une passerelle d’abordage). Ils réussirent ainsi en 40 jours seulement à construire une flotte de 80 bateaux qui leur permit de poser les bases de leur domination sur la Méditerranée. Et à propos de ce qu’on pourrait ici nommer “ré-innovation”, je ne citerai que le récent exemple (anonyme pour ne vexer personne inutilement) d’un jeune consommateur qui s’offusquait devant moi de voir qu’une marque célèbre avait “copié” le modèle d’une autre marque non moins célèbre. Au détail près qu’il s’agissait exactement de l’inverse et que la “copie”, bien plus visible que “l’original”, était devenue la référence. On est toujours le rétro-ingénieur de quelqu’un d’autre.

* Source: Le Monde, “L’oeil de Pékin”, Jacques Follorou, 14 juin 2011

Source: Europa Star Première Vol.13, No 4