Qui, au premier coup d’œil, saurait déceler sous le visage limpide de la “Référence 5208P” une Grande Complication exceptionnelle, deuxième au classement des plus Grandes Complications de la collection “courante” Patek Philippe, juste derrière la fameuse Sky Moon Tourbillon?
La simplicité d’apparence, la pureté des lignes, l’absolue lisibilité de cette pièce d’exception est, pourrait-on dire, une forme d’ultime politesse. Un comble de raffinement. Quand tant d’autres garde-temps exhibent ostensiblement leurs propres complications, la Patek Philippe Triple Complication Réfé-rence 5208P, tout en délicatesse, en réserve et en retenue, se fait au contraire presque modeste. En ceci, elle est à sa façon la quintessence du “style” Patek Philippe: tout à la fois un art, un artisanat, une éthique et une technologie innovante qui place la distinction, l’usage et la fiabilité au-dessus de toute autre valeur.
Et pourtant!
Sous ce cadran presque dépouillé, se cache un mouvement qui allie remontage automatique, répétition minutes, chronographe monopoussoir, quantième perpétuel instantané à guichets et phases de lune. Soit l’addition et la fusion de trois complications majeures au sein d’un mouvement de 32mm de diamètre pour 10,35mm de hauteur, contenant pas moins de 701 composants, le Calibre R CH 27 PS QI. Un calibre qui, par ailleurs, bat au rythme d’un échappement et d’un spiral en Silinvar®, un dérivé du silicium. Une première dans la famille des Grandes Complications Patek Philippe.
Bien plus qu’un “empilement”
Concevoir, construire, mettre au point, manufacturer, décorer, et certifier un tel mouvement a posé de nombreux défis aux ingénieurs et horlogers de la manufacture genevoise. On l’imagine aisément, coupler répétition minutes, chronographe et quantième perpétuel n’est pas simple affaire d’empilement de complications. Ainsi, une des difficultés majeures rencontrées au cours de cette longue élaboration résidait dans la nécessité de créer de véritables déviations mécaniques, parfaitement contrôlées, entre le mouvement de base automatique, le chronographe, l’affichage de l’heure et le système de sonnerie. Il a fallu ainsi placer le mécanisme de chronographe entre le mouvement de base et le module de calendrier à affichage instantané. Le lien direct entre l’aiguille des heures et la sonnerie de la répétition étant ainsi coupé, il a été nécessaire de concevoir des systèmes de renvoi afin de pouvoir entraîner heure et chronographe tout en synchronisant parfaitement les indications visuelle et sonore de l’heure. Au passage, plusieurs brevets ont été déposés.
Le nouveau Calibre R CH 27 PS QI est ainsi constitué de trois “couches” étagées pourrait-on dire. La première couche contient le mouvement de base, automatique à répétition minutes, que l’on peut admirer au verso de la montre, avec son micro-rotor et son régulateur de sonnerie protégé sous une croix de Calatrava en or. Le “couplage” de ce calibre de base avec un chronographe à roue à colonnes monopoussoir, posait de sérieuses questions quant à la transmission de la force au chronographe. Les ingénieurs de Patek Philippe ont ainsi dû rajouter au centre une grande roue engrenée par pignon sur la roue de la minute, interrompant du coup tout lien direct entre l’aiguille des heures et la sonnerie de la répétition, nécessitant ainsi les renvois évoqués plus haut.
Puiser dans le répertoire chronographique
Par ailleurs, le chronographe se devait d’être le plus fin possible (2,4mm) afin de ne pas augmenter de façon significative la hauteur totale du calibre et donc de la montre. Puisant dans leur très riche répertoire de mouvements de chronographe, les horlogers genevois se sont inspirés de plusieurs de leurs réalisations antérieures, notamment du calibre CHR 27-525 PS, le mouvement de chronographe à rattrapante, à roue à colonnes et à roue d’embrayage le plus plat du monde. A ce calibre a été emprunté le système d’entraînement par friction des totalisateurs des minutes et des heures qui, tout en assurant la finesse de l’ensemble, permet de compenser les différences de couples entre chronographe enclenché et arrêté, assurant ainsi une amplitude de balancier parfaitement régulière. Le même calibre a aussi inspiré les profils des dents des roues de chronographe, spécifiquement conçus pour réduire les frottements, et donc accroître le rendement. Mais c’est d’un autre calibre du répertoire Patek Philippe, le CH 29-535 PS à remontage manuel que proviennent les constructions brevetées des marteaux de remise à zéro autoréglants, permettant d’assurer l’exactitude de leur positionnement au centième de millimètre près.
A 2h, un seul poussoir active la mise en marche, l’arrêt et la remise à zéro des secondes et de leurs fractions, par trotteuse centrale, et des minutes et heures par compteurs traînants, respectivement à 3h et à 9h.
Instantanéité et synchronisation
Passer du niveau chronographe au niveau quantième perpétuel, qui plus est quantième instantané à guichets, a, comme on l’a déjà souligné, nécessité de profondes modifications de la construction et de l’architecture du mouvement. Dans l’espace restreint du chronographe, il a fallu intégrer un système de renvois de la minute car la chaussée des minutes ne pouvait pas traverser le mobile de chronographe. Le mouvement rotatif de la chaussée des minutes est donc dévié latéralement jusqu’au niveau supérieur du chronographe et, à ce niveau, renvoyé au centre d’où il pilote les aiguilles des heures et des minutes, les affichages instantanés du calendrier, les phases de lune et une discrète indication jour/nuit.
L’instantanéité et la synchronisation des affichages du quantième est assurée par une grande bascule, à elle seule composée de 15 pièces, qui intervient notamment quand par exemple, à minuit, tous les affichages doivent sauter ensemble. En complément, deux ressorts-sautoirs égalisent de façon constante l’énergie transmise à chaque changement d’indication, afin qu’elle ne soit ni trop forte ni trop faible et qu’on évite ainsi des affichages d’indication partiels ou ayant sauté au-delà, par trop-plein d’énergie. Au bout du compte, quel gain en affichage représente cette disposition du quantième en guichets! Que de place ainsi laissée au parfait affichage des minutes et des heures chronographiques!
On allait presque en oublier le troisième complication, la répétition minutes. Comme on l’a expliqué plus haut, le mécanisme lui-même de la répétition minutes est logé à la base du mouvement. Pour le reste, il est le fruit des années de recherches menées par Patek Philippe et ses horlogers dans ce domaine – pas moins de 9 références de Répétition Minutes dans la collection courante. Une quête du son, de la signature acoustique de chaque pièce qui passe par la mise au point des meilleurs alliages, l’optimisation de la forme des timbres, de leur mode de fixation. Sans parler du réglage du jeu des râteaux, limaçons et autres marteaux qui concourent à produire le son le plus cristallin qui soit. Un son dont la qualité est, pour chaque pièce, personnellement agréée par MM Thierry et Philippe Stern, le président et président d’honneur de la manufacture.
Gains procurés par le silicium
Si l’on retourne à nouveau la pièce, l’œil exercé peut entrapercevoir le versant technologique de cette Triple Complication, sous la forme de son échappement Pulsomax® et de son spiral Spiromax®, tous deux donc en Silinvar®. Pourquoi Patek Philippe mise-t-elle sur cette technologie?
Quand on pose la question aux horlogers responsables de son développement, ils sont catégoriques. Ici, le premier gain est la performance et la fiabilité atteinte par le chronographe. Car en effet, échappement et spiral en dérivé de silicium offrent un rendement énergétique supérieur, dont toute la plus value (d’environ 30%) est directement mise au service du chronographe. Par ailleurs, les mêmes horlogers soulignent aussi la constance de marche remarquable obtenue par ces composants en Silinvar®, ainsi que leur durabilité supérieure. Pour un chronographe, qui consomme beaucoup d’énergie qu’il soit en stop ou en marche, notamment de par les frictions de son mécanisme, c’est un gain considérable.
Un visage dépouillé
En découvrant pour la première fois la Patek Philippe Triple Complication référence 5208P“, on ne saurait immédiatement deviner que douze affichages se partagent son cadran or anthracite satiné soleil, tant son visage semble pur, presque dépouillé. Les trois guichets du calendrier – encadrés d’or gris diamanté poli - s’affichent en arc de cercle dans la partie supérieure, dégageant ainsi tout l’espace nécessaire aux deux cadrans auxiliaires du chronographe et à la petite seconde à 6h, surmontée d’un guichet inversé de phases de lune. Deux petits guichets supplémentaires se cachent au bas des cadrans auxiliaires du chronographe, les années bissextiles entre 4h et 5h, et un jour/nuit entre 7h et 8h. Sous l’évidente lisibilité et la grande élégance, se cache un complexe cadran”cloche", minutieusement évidé de façon à ce qu’il puisse se poser le plus bas possible contre le mouvement, afin de préserver la minceur de la pièce. Mais c’est aussi un cadran techniquement très exigeant. Les grands guichets, la généreuse typographie des affichages dans un espace restreint, imposent un surcroît de précision dans l’exactitude du positionnement des guichets et des cadrans secondaires. Les disques de quantième, sautant instantanément et étant d’une précision extrême, le moindre décalage ne saurait être toléré.
Un profil étonnant
Seul le verrou qui glisse sur flanc gauche de la carrure indique que nous sommes en présence d’une répétition minutes. A 2h, au-dessus de la couronne, on découvre le monopoussoir qui commande l’activation du chronographe. Quatre discrets correcteurs s’échelonnent sur les mêmes flancs du boîtier: jour mois, phases de lune et date. Enfin, serti à 6h, un petit diamant vient, comme de coutume, signaler que le boîtier a été taillé dans du platine 950. Ce boîtier rond en trois parties (fond, carrure et lunette), de 42 mm de diamètre pour une épaisseur de 15,70 mm, qui semble si classiquement élégant vu de face, réserve une surprise quand on le regarde de côté. Ce boîtier est en effet intégré entre deux brancards auxquels il est vissé. Grâce à cette architecture particulière, les cornes ont pu être entièrement ajourées, allégeant les lignes du boîtier et procurant à la pièce un profil aérien d’une étonnante modernité. Soit-dit en passant, le seul polissage extérieur et intérieur de ces cornes ouvragées dans du platine demande une rare maestria.
Montée sur bracelet alligator écailles carrées, brun chocolat brillant, cousu main, et doté d’une boucle déployante en platine, la Patek Philippe Triple Complication est livrée avec deux fonds interchangeables: un fond saphir et un fond plein en platine qui se prête à toutes les gravures personnalisées que souhaiterait y voir figurer son propriétaire. Et comme toutes les grandes complications de la maison, la Patek Philippe Triple Complication est présentée dans un écrin rotatif qui assure la continuité de son bon fonctionnement. Dotée bien évidemment du Poinçon Patek Philippe, qui vaut homologation esthétique et technique et qui n’est délivré qu’après une batterie conjuguée de tests et de contrôles sans comparaison dans l’horlogerie, la Patek Philippe Triple Complication référence 5208P entre à présent dans la collection Patek Philippe, où elle occupe désormais une place d’honneur. Seul problème, sa rareté. Car, malgré tous les efforts fournis par la manufacture, elle ne pourra être livrée qu’au compte-gouttes.
Source: Europa Star Première Vol.13, No 2